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La chute de la royauté
et
la proclamation de la république

Dans la tête des Français et du monde entier, la révolution française est datée de 1789. C'est l'année du soulèvement populaire à la Bastille et de la "grande peur" dans toute la France en juillet. Puis, le 4 août, c'est l'abolition du principe des droits féodaux suivie de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen le 26 août. Enfin, le 5 octobre les femmes des Halles de Paris vont à Versailles faire entériner l'abolition de la féodalité et ramener le roi Louis XVI à Paris. 1789, on l'a nommée "l'année sans pareille" ! Mais une autre série d'événements majeurs s'impose aussi, celle par laquelle les Français insurgés exigèrent la destitution du roi et la création de la république en quatre dates, le 10 aout, puis les 2 , 20 et 21 septembre 1792. Cette deuxième séquence événementielle est toute aussi importante et fondatrice que la première.

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(10 août - 21 septembre 1792)

Mais pourquoi 1792 n'est-elle pas commémorée ? Parce qu'à la différence de 1789, qui clôture ce qu'on appelle désormais "l'ancien régime", 1792 ouvre la "période contemporaine", celle des grandes questions politiques de la démocratie moderne, qui sont aujourd'hui encore toujours ouvertes. Ce ne sont pas moins des événements majeurs qui eurent lieu alors. Mais ils ne sont pas commémorés puisque, comme il arrive à tout événement historique, leur récit est controversé encore aujourd'hui.

C'est que cette année 1792 fut suivie d'une série de guerres contre l'Europe des rois, de soulèvements en Vendée et dans le Midi et de coups d'Etat sanglants entre révolutionnaires jusqu'en 1799, quand l'armée de Bonaparte prit le pouvoir. Les questions politiques posées depuis 1792 sont alors restées sans réponse. Mais le débat qu'elles ont soulevé occultent toujours à nos yeux ce qu'ont été ces événements de 1792, leurs acteurs, leurs motivations et leurs résultats. C'est ce que je me propose d'essayer de mettre au clair, à l'aide des récents travaux de recherche, afin de mieux comprendre les enjeux de ce débat. De quoi cette séquence d'événements pourrait-elle être fondatrice ? De la république ? Soit, mais encore ?

      Que s'est-il passé ?

***Le 9 et le 10 Août 1792, la majorité des sections parisiennes de la garde nationale de Paris, entraînée par les sans-culotte, soutenue par les volontaires marseillais et bretons, et accompagnée par la foule des habitants des faubourgs en armes se sont emparés du palais de Tuileries, et ont contraint l'Assemblée Législative à "suspendre" les pouvoirs de Louis XVI et le remplacer par un groupe de ministres.

***Le 2 septembre et les jours suivants, stimulés par les menaces du Duc de Brunswick, chef de l'armée Prussienne en marche sur la capitale, excédés par les atermoiements de l'Assemblée qui hésitaient à juger le roi et sa cour pour trahison, les parisiens envahirent les prisons et exécutèrent plus de mille trois cent prisonniers suspects.

***Le 20 septembre, à Valmy, l'armée révolutionnaire arrêta l'armée Prussienne qui menaçait Paris et l'obligea à faire demi-tour, à la surprise de l'Europe entière.

***Le même jour et le lendemain 21 septembre, alors que l'Assemblée Législative était déchirée par les divisions sur la conduite de la guerre, sur la religion, sur le suffrage électoral, sur le sort à réserver à la famille royale, etc, etc ..., elle se leva soudain, unanime, pour proclamer la fin de la royauté et l'avènement de la république.

Voilà ce qu'on lit dans les manuels et les chronologies de la révolution française. Il faut bien reconnaître que cela mérite un peu d'explication !

           Le 10 août 1792 : Louis XVI emprisonné

Les circonstances de cet événement là sont presque toutes bien connues. Depuis la fuite ratée du roi à Varennes, le 20 juin 1791, l'Assemblée Législative élue en Octobre de la même année essayait en vain d'établir un modus vivendi avec la cour royale pour essayer de conserver au moins l'apparence d'une monarchie parlementaire. Sur la constitution civile du clergé et sur la guerre contre l'Autriche, les feuillants, les montagnards et les brissotins s'affrontaient à l'Assemblée et le roi en profitait pour faire de l'obstruction en abusant de son droit de veto. Il poussait l'Assemblée Législative à faire la guerre à l'Autriche et s'appuyait pour cela sur une majorité de ses représentants qui souhaitaient mettre fin à la Révolution. Mais une nouvelle force politique apparut, les "sans-culottes", qui avait pris le contrôle de la municipalité de Paris et de la majorité des sections de la garde nationale.

Le 20 juin,1792, ces derniers firent irruption dans le Palais des Tuileries et tentèrent de contraindre le roi à mettre fin à ses obstruction et à signer l'application des lois. Plus encore, ils exigèrent du roi d'accepter et la taxation du blé pour stopper l'inflation des assignats et l'accès de tous au suffrage électoral pour instaurer vraiment l'égalité en droit. Mais le roi ne céda pas. Ils se décidèrent alors à fomenter une insurrection armée pour imposer la déchéance du roi. Ils profitaient, en cela du renfort de plusieurs milliers de volontaires venus de Marseille et de Bretagne en juillet pour renforcer l'armée et répondre à l'appel de "la patrie en danger".

Le 9 août, l'Assemblée décida d'acquitter Lafayette de l'accusation de coup d'Etat (tenté le 21 juin). Au soir, les sections sans-culotte et les volontaires investirent le Palais des Tuileries et se trouvèrent face aux gardes suisses et à la garde noble du roi auxquels s'étaient joints quelques bataillons de la garde nationale. Pendant toute la nuit, on parlementa et une partie des Suisses ainsi que les gardes nationaux se retirèrent, tandis que le roi et sa famille se réfugiaient au coeur de l'Assemblée Législative. Mais à l'aube du 10 août, le tocsin sonna; une foule venue des faubourg pilla les armureries et se joignit aux assaillants sans-culottes pour faire irruption dans la cour du Palais. Depuis les fenêtres du palais, une fusillade les accueillit, les canons des gardes nationaux y répondirent et ce fut le signal du carnage. Les quelques 200 Suisses et les nobles restés fidèles au roi, qui avaient ouvert le feu sur  la foule, furent massacrés; il y eut de part et d'autre plusieurs centaines de morts. Alors, depuis le palais des Tuileries, la foule des assaillants envahit l'hémicycle de l'Assemblée et exigea la destitution du roi. Les députés lui cédèrent en votant la suspension et l'emprisonnement du roi à la tour du Temple en vue de son jugement par un tribunal spécial.

La question de l'avenir de la monarchie n'était pas encore tranchée. Si le soulèvement des bataillons de la garde nationale avait été l'élément déclencheur de l'insurrection, l'irruption des habitants des faubourgs avait été le moment décisif de l'événement. Le massacre des patriotes dans la cour du palais avait été provoqué par la fusillade de la garde noble sur les assaillants, et ne s'est pas prolongé au delà du palais. La motivation des insurgés était clairement politique : il fallait briser la résistance contre-révolutionnaire aux décisions prises et imposer à l'Assemblée que la souveraineté n'appartenait plus au roi. En effet, depuis plus d'un an, Louis XVI était un roi sans trône; ses hésitations et les refus de contresigner les lois votées par l'Assemblée Législative le rendaient détestable. Les sans-culottes et une bonne partie de la population se considéraient déjà comme le peuple souverain.

        Les massacres du 2 au 5 septembre :

Les nouvelles des frontières étaient de plus en plus inquiétantes : après les villes d'Alsace, la place forte de Longwy capitula et Lafayette déserta de son poste de généralissime, remplacé in extrémis par Dumouriez. Le 2 septembre, la nouvelle de la prise de Verdun par l'ennemi mit le feu aux poudres. Angoissée et exaspérée par les lenteurs des procédures judiciaires contre les traîtres à la patrie, une foule d'émeutiers investit les prisons de Paris et, par un simulacre de justice expéditive, y exécuta environs 1300 prisonniers (et parmi eux, environs 400 royalistes, prêtres réfractaires au serment constitutionnel et nobles suspects d'émigration vers l'étranger ; les autres victimes étaient des prisonniers de droit commun; à la prison de la "grande force", 168 détenus sur 400 furent tués.). Cet événement fut rapidement connu sous le nom de "massacres de septembre".

 

Il y en eut peu de répercussion en province (environs 150 victimes en tout dans une dizaine de villes), et la rumeur en exagéra considérablement l'ampleur. On s'accorde à dire que ce fut un soulèvement populaire spontané. Certes, cette initiative se transforma vite en bain de sang. Les "massacres de septembre" ont été, dans leur intention première, l'application d'une décision politique : enlever au roi, accusé de trahison, et à l'assemblée, qui tergiversait, le droit de juger les suspects de traîtrise et se l'attribuer, avant de dégénérer en un acte de vengeance aveugle voire en folie meurtrière. C'était moins l'horreur des massacres qui provoqua l'émotion que le désaveu des autorités par la masse des émeutiers en colère, qui se firent justice eux-mêmes. C'est le sens de la formule par laquelle Danton, plus tard, qualifia l'événement : « Soyons terribles pour dispenser le peuple de l'être » et annonça ainsi la politique dite de "la terreur" qui commença un an plus tard, marquée par les carnages de Nantes, de Lyon et de la guerre de Vendée. Dans l'immédiat, les élections des députés à la Convention (assemblée nationale chargée de rédiger la nouvelle constitution) furent fortement impressionnées par cet événement jamais vu.

      Le 20 septembre : la bataille de Valmy

Pendant qu'à Paris se déroulaient les massacres, et qu'en province on élisait les députés à la Convention, les troupes Prussiennes et Autrichiennes s'approchaient de la capitale et les deux armées de Dumouriez et de Kellermann manoeuvraient pour tenter de les arrêter. Les Prussiens réussirent à contourner le massif forestier de l'Argonne et, pour les ralentir, Dumouriez et Kellermann barrèrent la route du ravitaillement de l'ennemi devant Sainte Menehould, en s'appuyant sur la colline de Valmy, où Kellermann disposa son artillerie. Les Prussiens durent donc faire demi-tour et accepter la bataille.

Les deux adversaires étaient en effectifs comparables : 38.000 hommes du côté Prussien, 45.000 du côté Français. L'artillerie Française était plus nombreuse et meilleure (des canons Gribeauval tout neufs), mais le tiers des troupes Françaises était composé de volontaires dont c'était le baptême du feu. Les Prussiens, certes affectés d'une épidémie de dysenterie, étaient tous des vétérans ayant la réputation d'être la meilleure armée d'Europe. Pendant 11 heures, sous une violente canonnade de part et d'autre, les adversaires s'observèrent d'abord : les Prussiens espérèrent que les rangs des Français faiblissent, en vain. Puis ils avancèrent en colonnes impeccables au pas. A 500 m du contact, les canons Français les stoppèrent et les Français ,en criant: "Vive la Nation", commencèrent à avancer à leur tour. Du coup, les Prussiens rompirent sans combattre et s'en allèrent. Il y eut environs 200 morts du côté Prussien et 300 du côté Français. Est-ce la canonnade ou le grand cri des Français qui fit reculer l'ennemi ?

On a qualifié cet affrontement d'escarmouche au pire, et au mieux de bataille d'artillerie. Mais Goethe, qui accompagnait l'état-major Prussien, dit alors :"d'ici et d'aujourd'hui débute une nouvelle époque de l'histoire du monde -- et vous pourrez dire que vous étiez là !". Ce qui a fait reculer les Prussiens, c'est de se rendre compte que cette campagne, qui avait commencé comme une promenade (dixit le Duc de Brunswick), prenait soudain l'apparence d'une lutte acharnée contre un adversaire résolu : Les volontaires et les troupes de ligne de l'armée Française étaient une armée révolutionnaire, et non une armée royale : soutenus et encouragés par toute la population de la région, ils se battaient non pas pour un royaume mais pour une Nation, leur Nation. Les Prussiens, s'ils pouvaient gagner au prix d'un bain de sang à Valmy, auraient eu ensuite à combattre d'autres armées dans un environnement hostile, puis à trouver la population de Paris en état de défense. Et ils n'étaient absolument pas prêts pour cela. La célèbre armée Prussienne avait été forcée de faire retraite sans même avoir croisé le fer.

Cette bataille eut lieu le 20 septembre 1792. La nouvelle de cet événement se répandit à la vitesse qu'on peut imaginer, en France et dans toute l'Europe.

     Les 20 et 21 septembre à Paris, la République:

Ce jour du 20 septembre se réunissait à Paris pour la première fois la Convention. Ce qui s'était passé à Valmy n'était pas encore connu, mais l'atmosphère générale et le sentiment de tous n'était plus à la panique. Le résultat des élections n'avait pas été bien clair. Seulement 35% des députés à la Convention venaient de l'Assemblée Législative. La quasi totalité d'entre eux étaient favorables à la destitution de Louis XVI, même si environs 20% d'entre eux étaient en faveur d'une monarchie libérale et 20 autres % plus radicaux et proche des sans-culottes. On s'en rendit compte par la suite, tous n'étaient pas favorables à la condamnation du roi pour traîtrise (il n'y eut qu'une très faible majorité pour sa condamnation à mort en décembre). Pourtant, ils proclamèrent tous la République à l'unanimité par acclamation, dit-on. Le lendemain 21 septembre, la nouvelle assemblée se réunit à nouveau et vota que désormais "les actes publics [seraient] datés de l’an premier de la République française » . À partir du 22 septembre 1792, les députés prêtèrent serment de fidélité, non plus au Roi, mais à la Nation : « Au nom de la Nation, je jure de maintenir la liberté et l’égalité ou de mourir à mon poste ». Le 25 septembre, quatre jours après l’abolition de la royauté, la Convention nationale décréta « la République une et indivisible. »

 

Voici donc que tout à coup, les parlementaires se sont trouvés d'accord avec les manifestations populaires, sans aucune pression apparente, avec un élan d'enthousiasme indiscutable. C'était la consécration publique et officielle des journées du 10 août, du 2 et du 20 septembre au cours desquelles, semblait-il, la voix du peuple s'était prononcée. Mais ce n'était pas pour autant la fin des débats et des affrontements politiques : si cette décision marquait une clôture des controverses sur le statut du clergé et sur le droit de veto, les questions sur la souveraineté et la représentativité des élus, sur la taxation des prix, sur la conduite de la guerre et sur la répression des contre-révolutionnaires ne faisaient que commencer. Et il s'y ajoutait le débat sur le sort qu'on allait faire à la famille royale. L'unanimité manifestée en faveur de la République ne dura guère. Mais ce n'est pas mon propos. Ce qui m'interpelle, c'est la manière dont la république fut proclamée en 1792.

     Un ou plusieurs processus ?

On apprend, dès l'école, à considérer une suite de dates comme une logique historique. Mais est-ce bien toujours le cas ? Contrairement aux apparences, il n'y eut pas de processus unique déroulant les quatre dates du 10 août, du 2 septembre, du 20 et du 21 septembre comme s'il y avait eu un enchaînement logique de causes aux conséquences. Je reprendrai l'expression de Paul Veyne à ce sujet (in "Le quotidien et l'intéressant : entretiens avec Catherine Darbo-Peschanski" Hachette, 2006) : il n'y a dans ces dates successives qu'une "causalité d'intrigue" de la part d'un historien qui voudrait en faire un récit unique. Ce qui s'est passé le 2 septembre n'est pas dû à la journée du 10 août car les nobles et prêtres avaient été emprisonnés bien avant, et les sections sans-culottes de Paris n'étaient pas à l'origine de cet événement. Quant à la bataille de Valmy, ce n'étaient pas les volontaires du 10 Août qui y combattirent, et la victoire, si c'est est une, n'a pu influencer la décision de la Convention le lendemain. Ce sont en fait plusieurs événements parallèles. Mais il existe un lien entre eux.

 

Réexaminons ce qui a eu lieu : l'insurrection du 10 août a obtenu la déchéance de Louis XVI et son emprisonnement, mais pas encore l'abolition de la royauté. Les conditions de cela étaient réunies seulement sur le plan légal et politique, et c'était insuffisant : aussi l'Assemblée Législative n'a -t'elle pas prononcé immédiatement la déchéance, mais la "suspension" de Louis XVI le 10 août. Pour en venir jusqu'à la république, il fallait prendre également en considération l'événement du 2 au 5 septembre, qui a tranché à son tour sur le plan de la justice et du droit en enlevant à l'assemblée comme au roi le pouvoir judiciaire, mais la légitimité de cette action était encore discutée (elle aboutit à la création du jury populaire d'assise). Enfin, sur la guerre et la paix, la bataille de Valmy, le 20 septembre, acheva de mettre fin de manière décisive à une continuité monarchique millénaire en combattant au nom de la Nation seule. Il a été possible alors seulement de prononcer le changement de régime, parce que ces trois événements ont eu lieu, et non un seul, de manière non pas successive mais quasiment simultanée. Chacun des trois est en quelque sorte la conclusion d'un débat qui a commencé dès la fin de l'année 1789, le premier sur la question de la souveraineté (du peuple ou du roi ?), le second sur le sort à réserver aux traîtres, aux prêtres réfractaires qui refusaient de prêter serment à la constitution, et aux aristocrates qui émigraient à l'étranger, le troisième sur la guerre à mener (pour défendre la nation, ou pour abattre les monarchies européennes réactionnaires ?). Seul, un régime républicain sembla capable de trouver une réponse à ces trois questions.

 

     Quelle postérité pour 1792 ?

Ces événements ne sont pas commémorables puisqu'ils ont été controversés depuis cette époque jusqu'à maintenant. Ils ne sont pas non plus fondateurs : la république que les députés à la Convention ont proclamé en est aujourd'hui à son cinquième item, faut-il le rappeler, et on parle encore d'en réformer la constitution. La manière dont cela s'est passé en 1792 nous permet de comprendre assez bien la problématique de ce sujet : qu'est-ce qu'un souverain ? Qui doit trancher de la guerre et de la paix, de l'exercice de la justice et de la violence publique, de la régulation de l'économie, lorsque ce n'est plus à la charge d'un monarque ?

 

En quoi peut-on dire que ce sont alors des événements ? Qu'avons-nous donc en héritage de ce passé ? Certainement pas la constitution qui fut ensuite discutée : celle ci, celle de la première république, ne fut jamais mise en application. Elle contenait pourtant un article (l'article 35 de la déclaration des droits de l'homme en préambule) qui n'eut jamais aucun précédent ni postérieur: "quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple [...] le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs". C'est de là que découle le sens actuel du mot "révolution" : « changement brusque et violent dans la structure politique et sociale d'un État, qui se produit quand un groupe se révoltant contre les autorités en place, prend le pouvoir et réussit à le garder » (définition du Larousse).

Quant à la "république", ce n'était une imitation ni des cantons suisses, ni de la "Sérénissime" de Venise ou de la fédération américaine. Les références historiques de l'époque remontaient plutôt à la cité idéale platonicienne ou à la république de l'antiquité Romaine. Il s'agissait d'élaborer un modèle universel, un nouveau régime valable pour le monde entier. C'est bien ce que l'armée conquérante des soldats de l'An 2 fit en imposant à l'Europe des "républiques-soeurs". Des régimes imposés de force par les armes, ce n'est pas de cela que nous sommes les héritiers.

 

Je n'oublie pas, cette citation de la constitution de l'an Un m'en fait le rappel, que le mot "peuple" est intimement lié au mot "révolution". Il n'y aurait, dans la pensée des révolutionnaires de 1792, de révolution que populaire. En effet, les événements de cette année là n'ont été possibles que par la participation inattendue, inouïe et impensable que les masses populaires anonymes y ont apporté. On ne sait pas exactement qui, ni combien elles étaient, ces foules armées de piques du 10 août, ces masses vengeresses du 2 septembre, ces volontaires de Valmy, mais ils étaient là. Sans eux, cela n'aurait pas eu lieu comme cela. Une preuve à contrario : parmi les historiens qui admettent la participation du "peuple" aux événements, les uns les décrivent comme des insensés, enragés, les autres reconnaissent ignorer leur motivation, mais quasiment aucun ne peut admettre que ces gens pouvaient avoir une intention, une pensée propre, car il n'en reste que bien peu de traces. Et pourtant ... Pourtant, c'est cela qui fait que cet événement en est un !

 

Notre héritage de 1792 tient donc en un seul mot : révolution. Le mot, dans son acception politique, date de la décapitation du roi d'Angleterre Charles I° en 1649 et de la fondation du "Commonwealth". Il a été employé pour la première fois en France par le duc de la Rochefoucault qui disait au roi Louis XVI le soir du 14 juillet 1789 : "Non, sire, c'est une révolution". Ce qu'évoque ce mot aujourd'hui encore, c'est le renversement violent du pouvoir d'Etat par une insurrection armée dans le but de provoquer un changement radical de régime politique, bien qu'on n'y croie plus guère. C'est en effet ce qui a été tenté le 10 août 1792, et c'est pourquoi un certain nombre d'historiens préfèrent dater le passage de la royauté à la république de ce jour là, même si ce n'est pas tout à fait exact. Car on peut penser que le sens politique actuellement en vigueur du mot révolution vient de là. Pendant deux siècles, il est devenu un concept politico-historique, un paradigme. Les révolutionnaires, de Baboeuf à Mao Ze Dong et au delà, ont tiré de cela la légitimité dont ils se sont réclamé dans l'histoire.

 

Que ce mot "révolution" soit devenu un modèle du changement dans l'histoire des Etats, qu'il ait acquis à ce titre une postérité universelle, c'est une question qui dépasse largement mon propos. C'est considéré jusqu'aujourd'hui comme l'événement dont "révolution" est devenu le nom éponyme, au moins pour un Français. Si, depuis la chute du "mur de Berlin", la révolution n'est pas une alternative politique à l'ordre du jour, si ce mot est tombé dans l'usage de la langue au niveau d'un lieu commun pour qualifier un peu n'importe quoi, la révolution de 1792 demeure à mon avis un des plus grands événements de notre histoire.

Ceci étant, la notion de "peuple" reste aujourd'hui encore problématique, alors qu'elle est un élément esentiel de l'événement. Elle a été utilisée pour justifier le régime de la "terreur" qui fut instauré par la première république; elle fut utilisée depuis pour justifier la définition insurrectionnelle de la révolution, mais aussi pour motiver la pratique du suffrage universel. Elle l'est encore pour justifier de nos jours les politiques de certains partis, de droite comme de gauche. La définition politique et historique de ce mot est très générale et se prête à toutes les interprétations. Mais la Révolution Française lui a donné une charge symbolique et subjective si forte que son utilisation peut encore de nos jours être tout aussi convaincante qu'elle peut être questionnante.

La bibliographie de ce sujet est énorme. Je me contenterai ici de signaler, parmi ceux que j'ai pu consulter, les ouvrages les plus récents qui ont bien développé le sujet et dont je me suis inspiré, à l'exclusion des publications polémiques (du genre de "crois ou meurs" de Claude Quétel, 2019).

 

- Philippe Bourdin et Cyril Violaine, Comprendre et enseigner la Révolution Française, Belin 2015 , très consensuel ...

- Jean Paul Bertaud, Valmy, la démocratie en armes, Julliard, 1970, qui est resté un ouvrage de référence sur la bataille

- Eric Hazan, Une histoire de la révolution française, La Fabrique, 2012, précis et documenté

- Hervé Leuwers, La révolution française, PUF, 2020, Dans la lignée du courant de François Furet, atlantiste et anti-lumières pour qui la révolution était "évitable".

- Jean Clément Martin, la Révolution française in L'invention de la démocratie, Seuil, 2003 (il a publié aussi des ouvrages sur Robespierre et une Révolution Française en 2012) C'est actuellement la version "officielle" de la Sorbonne.

- Marcel Reinhard, La chute de la royauté, Gallimard, 1969, ancien mais important : il traite ce sujet en tant qu'évènement.

- Sophie Wahnich, La révolution Française, un évènement de la raison sensible, Hachette, 2012,

et aussi L'impossible citoyen, Albin Michel, 2010, une réflexion approfondie sur les politiques révolutionnaires.

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