
À propos de
chronologie(s)
comparaison de 4 chronologies
de l'histoire de France
Je n’ai pas choisi ces quatre exemples. Je suis simplement allé en bibliothèque et j’ai pris les quatre exemplaires qui étaient présentés sur les rayons. J’ajouterai, et ce n’est pas indifférent, que je les ai trouvés dans une bibliothèque de quartier (1), n’en ayant trouvé aucune, je dis bien aucune, à la bibliothèque centrale (2) ouverte au grand public.
1 La bibliothèque Laon-Zola de Reims
2 La bibliothèque Falala de Reims.
Aucune des 4 « histoires de France » n’est identique aux autres. On peut étendre la comparaison à toutes les histoires de France, y compris aux manuels scolaires. Outre que ce serait un travail de bénédictin, on en tirerait la même conclusion : toute entreprise de ce genre, composer un récit national, est absolument singulière. Ces histoires sont toutes composées de courts récits successifs, chacun étant relativement indépendants, au point qu’on pourrait en conclure que chaque « date » est elle-même singulière. Mais ce n’est pas le cas, car toutes ces dates sont choisies et reliées entre elles, au sein de chaque ouvrage, par des introductions et des postfaces plus ou moins synthétiques. Ecrire une « histoire de France » ou une « histoire de la France », c’est donc un genre d’écriture en soi, qui respecte, semble-t-il, un code particulier. Bien sûr, chacun de ces ouvrages se permet de prendre quelques libertés :
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« La France qui gueule(3) » est essentiellement un ouvrage iconographique dont il faudrait analyser un à un les tableaux qui illustrent chacune des dates retenues. Cependant, il y a une introduction générale, une description sommaire et un commentaire écrit de chaque date conformément au modèle du genre. Le choix des dates est presque entièrement différent de celui des autres. C’est une « contre-histoire » des révoltes, une « histoire contestataire » (musique Rap et gaypride incluses). En fait, c’est une histoire thématique qui ne s’intéresse qu’à un aspect de notre passé. Elle n’a pas tout-à-fait la prétention d’être une histoire générale, même si elle considère que les faits qu’elle relate en valent la peine, à titre de « contribution » pour réparer des oublis coupables. Je relèverai que cette « contribution » est absente de toute connotation politique.
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« Le jour où … »(4) est strictement conforme au modèle, à ceci près qu’il s’attache, dans le texte de chaque date, à décrire l’aspect légendaire de celle-ci et écartant systématiquement (ou presque) toute référence savante. Ce n’est même pas de la vulgarisation, c’est de la vulgate, c’est le « roman français ». C’est donc une reprise des récits d’histoire de la troisième république, ceux de l’histoire Lavisse bien sûr mais d’autres encore, du XIX° et du XX° siècle notamment, en les surchargeant de valeur héroïque, merveilleuse ou exemplaire, « moments émouvants » et « patrimoine culturel » dit son auteur.
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« 1515 »(5), comme son titre le suggère, est au contraire une « histoire critique » si je puis dire. Il se réfère à la dimension légendaire des dates par l’iconographie d’un manuel de 1938 qu’il reproduit et analyse en opérant une sorte de rétablissement de la « vérité historique » des faits pour conclure à une démystification, non sans reconnaître assez souvent à ces date une importance. Le choix des dates est particulier, cependant elle est celle de notre comparaison qui partage le plus de dates avec les autres : 38 sur 74. Il s’agit donc d’une « déconstruction », dont le résultat est diversement apprécié en postface, soit par Pierre Nora qui s’en désole, soit par Marc Ferro qui le trouve insuffisant. En fait, il prend acte, à son grand « désarroi » (je cite) de la fin du « grand récit national » par la disparition de la chronologie à l’école.
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Enfin, « l’histoire mondiale de la France1 »(6) est à mes yeux la plus atypique. C’est d’ailleurs la volonté explicite de ses auteurs. C’est l’ouvrage le plus structuré : une introduction, un découpage en 12 périodes, toutes introduites : en lisant ces 12 introductions, on y trouve une continuité, comme si elles constituaient un récit à elles seules. On pourrait donc en conclure qu’elle serait la plus conforme à l’idéal du genre, comme une sorte de marque de la volonté d’être une authentique histoire de « LA » France. Cependant, elle demeure très différente des autres. La plupart des dates choisies ne sont pas celles des deux précédentes : 40 dates sont identiques ou proches de celles des autres, mais c’est sur un corpus de 140 dates, donc un faible pourcentage. En outre les auteurs, malicieusement, opèrent un décalage ou une substitution des dates (par exemple, 719, première incursion sarrazine en Aquitaine et non 732, bataille de Poitiers ; 1793 fondation du Muséum d’histoire naturelle et non mort de Louis XVI ; 1917, révolte des Kanaks en Nouvelle Calédonie et non mutinerie des poilus …). Ce n’est pas une déconstruction, c’est une dénationalisation de l’histoire de France, un détournement de son sens.
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3 Ouvrage collectif de 60 graphistes, présenté par Manon Paulic, éditions Milan , Toulouse, 2015
4 Par Frédérick Gersal, éditions Albin Michel, Paris, 2016
5 Ouvrage collectif de 50 auteurs présenté et dirigé par Alain Corbin, postfacé par lui et par Pierre Nora, Alain Prost et Marc Ferro, éditions du Seuil, Paris, 2005
6 Ouvrage collectif de 117 auteurs, coordonnés par Nicolas Delalande, Florian Mazel, Yann Potin et Pierre Singaravélou, dirigé, préfacé et commenté par Patrick Boucheron, éditions du Seuil, Paris, 2016
Aucune date commune à ces quatre chronologies !
Vous trouverez en page annexe un tableau comparatif de toutes les dates citées dans ces 4 ouvrages. La comparaison est édifiante !
Il y a 16 dates communes à 3 chronologies sur 4 alors qu’au total, il y a 296 date citées, 60 en colonne 1, 100 en colonne 2, 76 en colonne 3 et 146 en colonne 4. La colonne 1 ne partage que 10 événements avec les autres colonnes, dont 3 seulement avec la colonne 4 et 5 avec 2 autres colonnes. 12 dates sont partagées entre les colonnes 2, 3 et 4 : le sacre de charlemagne et l’élection d’Hugues Capet, les batailles d’Hastings, de Bouvines et de Marignan, la première croisade, la St Barthélemy, l’assassinat d’Henri IV, l’inauguration de Versailles, la fête de la fédération et le couronnement impérial de Bonaparte, et 1914. Ce qui est significatif d’une absence de consensus sur les révolutions et sur l’histoire contemporaine récente puisque depuis la fin de la première guerre mondiale, aucune date n'est commune.
Si l'on compare avec l'histoire de l'école primaire de nos aïeux, Il n'y a que 30 dates dans l’histoire Lavisse : 27 sont retenues sur ces 30 dates dont 3 par la colonne 1, 18 par la colonne 2, 23 par la colonne 3 et 13 par la colonne 4.
Aucune des 4 « histoires de France » n’est donc identique aux autres. On peut étendre la comparaison à toutes les histoires de France, y compris aux manuels scolaires. Outre que ce serait un travail de bénédictin, on en tirerait la même conclusion : toute entreprise de ce genre, composer un récit national, est absolument singulière. Ces histoires sont toutes composées de courts récits successifs, chacun étant relativement indépendants, au point qu’on pourrait en conclure que chaque « date » est elle-même singulière. Mais ce n’est pas le cas, car toutes ces dates sont choisies et reliées entre elles, au sein de chaque ouvrage, par des introductions et des postfaces plus ou moins synthétiques. Ecrire une « histoire de France » ou une « histoire de la France », c’est donc un genre d’écriture en soi, qui respecte, semble-t-il, un code particulier. Bien sûr, chacun de ces ouvrages se permet de prendre quelques libertés. Vous trouverez mon point de vue sur la quatrième, celle qui est dirigée par Boucheron ICI.
