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Le 13 mai 1958
à Alger ...

... Et la fondation de la V° République !

C'est en tout cas la date dont on se souvient, même si la V° République fut célébrée à grands flons-flons le 4 septembre 1958 et promulguée le 4 octobre, des dates fort oubliées !

C'est que le 13 mai est un événement vraiment singulier : une manifestation "monstre" non pas à Paris, mais à Alger, et une alliance des militaires de carrière, des militants gaullistes et des "ultras" de "l'Algérie Française" pour envahir le palais du gouvernement général et appeler le général De Gaulle au pouvoir. Et l'on discute encore aujourd'hui de savoir si ce fut ou non un "coup d'Etat" !

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C'est en tout cas un tournant majeur de la guerre d'Algérie puisque je peux affirmer aujourd'hui sans que nul ne s'en offusque que "l'Algérie Française" revendiquée à Alger n'a suscité alors que peu écho favorable en métropole (les sondages d'opinion relevaient "algérie française" comme slogan minoritaire en métropole), tandis que les parachutistes du général Massu ont tenté en vain de faire croire, par une mascarade sans conviction, à une fraternisation entre les colons et les Algériens autochtones. On peut donc dire que c'est la date symbolique de la fin de l'empire colonial, puisque deux ans plus tard, De Gaulle a négocié l'indépendance des pays d'Afrique subsahélienne, en contradiction totale avec l'utopie des paras.

C'est en fait essentiellement un tournant majeur de la vie politique en France métropolitaine. Les partis politiques de droite comme de gauche s'y sont révélés incapables de gérer la crise générée par cette guerre. La présidentialisation de la république, l'effondrement immédiat de la SFIO et le début du long déclin du PCF s'en sont résulté, tandis que l'unification des partis de droite sous la tutelle gaullienne a consacré la soumission dans les faits des militants de ces partis à l'Elysée. C'était la fin de ce que De Gaulle a appelé "le régime des partis" (depuis son discours de Bayeux en 1947). Cette fin de la IV° république inaugure une mutation majeure de la démocratie parlementaire  dont on peut de nos jours essayer de mesurer l'importance.

La Une du journal, de tendance "ultra", résume les faits marquants du 13 au 14 mai dans le désordre

     Les faits :

***** Quelle fut la place de la guerre d'Algérie dans la vie politique en France ?
* L'instabilité ministérielle chronique de la IV° république a été son défaut congénital : la multiplicité des partis politiques imposait un gouvernement de coalition; la pression idéologique de la "guerre froide" entre l'Est (l'URSS et ses pays satellites) et l'Ouest (les USA et les pays de l'OTAN), et la tendance d'une "troisième force" centriste en France, rendaient toute combinaison électorale fragile
* Le pays était en guerre coloniale depuis 1945, quand éclatèrent des émeutes qui eurent lieu dans les 
colonies, en Algérie, au Sénégal, et à Madagascar, mais surtout en Indochine , où la guerre s'acheva en 1954 par la défaite française de Dien Bien Phu et les accords de Genève. C'est alors que commença la guerre d'Algérie, le 1° Novembre de la même année.  .
* Depuis 1954 jusqu'en 1958, les cinq gouvernements qui se sont alors succédés, sont tous "tombés" sur la question coloniale, spécialement sur l'Algérie.

Le premier, celui de Mendès France, fut renversé le 6 février 1955 à l'occasion de sa politique Algérienne, mais en fait pour d'autres raisons, par une coalition hétéroclite du PCF et du MRP (centre droit). Le gouvernement suivant, celui d'Edgar Faure, est tombé à son tour lors d'un débat sur l'indépendance du Maroc en novembre 1955, mais c'est en fait sur la politique du gouverneur général d'Alger, Soustelle. Les élections parlementaires qui suivirent mirent au pouvoir Guy Mollet, secrétaire de la SFIO (parti socialiste).

Celui-ci, élu sur le mot d'ordre "paix en Algérie", se rendit en février 1956 à Alger où il fut accueilli par des huées et des projectiles de la foule algéroise. C'est la "journée des tomates".

Il installa alors, au gouvernement général d'Alger, Robert Lacoste avec lequel il mena une politique dite "de pacification", en réalité la mobilisation des appelés au service militaire en Algérie (400.000 hommes) pour y "rétablir l'ordre". Cette politique conduisit bientôt l'armée à mener la "bataille d'Alger", avec les parachutistes du général Massu contre le FLN, en employant notamment la torture à grande échelle, de février à septembre 1957, une tactique qui a fait école ensuite, hélas ! Mais qui a provoqué en métropole de vigoureuses protestations. C'est dans cette ambiance que le gouvernement Mollet fut mis en minorité en mai 1957. Cependant cette même politique fut poursuivie par les gouvernements qui lui succèdèrent, celui de Bourgès-Maunoury de mai à septembre 1957 et celui de Félix Gaillard enfin.

En même temps la situation internationale de la France s'est sévèrement dégradée. Déjà, en novembre 1956, la France a participé aux côté de la Grande Bretagne à la calamiteuse expédition de Suez que l'Egypte du Colonel Nasser voulait nationaliser, en considérant que le FLN était une émanation de la politique Egyptienne. Elle a reçu alors un camouflet par l'action conjointe de l'URSS et des USA qui ont fait stopper l'opération. Pendant la bataille d'Alger, le FLN, soutenu par les pays du "Tiers-Monde", a mis la France en difficulté à l'Assemblée Générale de l'ONU. Enfin, en février 1958, l'aviation française a violé la frontière Tunisienne pour bombarder le village de Sakhiet où  stationnaient des "fellaghas" du FLN, suscitant alors une mission de "bons offices" anglo-américaine de résolution de l'incident diplomatique qui en a résulté. Ce dernier épisode a provoqué la chute du gouvernement Gaillard.

Portraits des présidents du conseil successifs entre 1954 et 1958

La guerre d'Algérie a donc été un élément majeur dans la crise politique qui a éclaté le 13 mai 1958. Cela peut expliquer en partie que le déclenchement de la crise eut lieu à Alger. Cependant, cette guerre s'est poursuivie jusqu'en 1962. C'est donc en métropole que la crise s'est dénouée.

*****le 13 mai

* Le 15 avril 1958, le gouvernement Gaillard fut mis en minorité au parlement sur la ratification de l'accord péniblement trouvé avec la Tunisie après le bombardement du village de Sakhiet, sous la pression du secrétaire d'Etat américain Robert Murphy. Les "ultras" de l'Algérie Française en Algérie réclamèrent  alors un "gouvernement de Salut Public" (vague réminiscence de la Révolution Française) mais Robert Lacoste dut quitter Alger, sur ordre de la SFIO, tout en protestant contre ce "Dien Bien Phu diplomatique".

Ce pressentiment d'abandon de "l'Algérie Française" fut renforcé par le choix du Président de la République, René Coty, d'appeler Pierre Pfimlin, un modéré, à constituer un nouveau gouvernement. Le FLN versa de l'huile sur le feu en annonçant alors le 8 mai qu'il avait "condamné à mort et exécuté" trois soldats Français prisonniers (en représaille de l'exécution de militants du FLN par la France). Les "ultras" d'Alger décidèrent alors d'organiser à Alger une manifestation "Algérie Française", au jour et à l'heure de la séance d'investiture du gouvernement à l'Assemblée Nationale.

* Parmi les Français d'Algérie, un fort mouvement de colère avait accueilli ces nouvelles. Le ressentiment contre le mouvement métropolitain n'était pas forcément à la révolte ouverte, mais on s'indignait contre ces dirigeants qui prétendaient décider de l'avenir des colons sans les consulter. Plusieurs groupements politiques voulurent en profiter, les "ultras", les gaullistes et les officiers de l'armée, les "capitaines", souvent issus de la résistance et anciens combattants d'Indochine. Les "ultras" étaient une coalition de royalistes, d'anciens pétainistes et d'étudiants radicaux, défenseurs des privilèges coloniaux et nostalgique de la "révolution nationale" de 1941; les militaires étaient animés par l'anticommunisme hérité de la lutte contre le Vietminh en Indochine; les gaullistes aspiraient quant à eux à la revanche de leur éviction en 1946 et au retour de De Gaulle au pouvoir.

* Le rendez-vous était donné au monument au morts d'Alger, là ou Guy Mollet avait reçu des "tomates" en 1956. A la surprise générale, on y trouva des dizaines de milliers de personnes (aucune évaluation n'a été faite). Très vite, l'hommage aux morts se mua en cortège de revendication ("Algérie Française !") vers le palais du gouvernement général tout proche. A la tête des manifestants, les "ultras" se lançèrent à l'assaut du bâtiment  qu'ils envahirent et saccagèrent sous les yeux des parachutistes censés le protéger. La masse des manifestants attendait de voir.

* Les "ultras" formèrent alors le "comité de salut public"  de leurs voeux, mais ne purent empêcher les gaulliste de s'y inviter, ainsi que les officiers de l'armée. Le général Massu, auréolé de sa récente "victoire" de la bataille d'Alger, s'en vit offrir la présidence et envoya à Paris un télégramme exigeant la tenue du gouvernement de salut public, seul capable de conserver l'Algérie partie intégrante de la métropole ». L'Assemblée Nationale répliqua par l'investiture du gouvernement Pfimlin ! Cependant le ministère Gaillard, démissionnaire, mais en charge des affaires courantes, remit les "pleins pouvoirs en Algérie" au général Salan qui était en train de rejoindre les insurgés. La confusion était totale. Cette décision fut confirmée par Pfimlin le lendemain matin. Quelques heures plus tôt, le général Massu, par un nouveau télégramme suppliait De Gaulle d'intervenir. Et le 15 mai, une nouvelle manifestation fut organisée à Alger, cette fois à l'initiative des militaires. Ils y avaient entraîné une foule de musulmans de la Casbah d'Alger pour y symboliser la "fraternisation" de tous les Algériens en Algérie Française. Au balcon du Gouvernement Général, c'est le général Salan qui les accueillit cette fois, en terminant son discours par "vive la France". Mais le gaulliste Léon Delbecque lui suggéra d'ajouter "Vive De Gaulle". C'est ce jour là que De Gaulle publia un communiqué par lequel il se tenait prêt à  « assumer les pouvoirs de la République ». 

Le général Salan, entouré des membres du Comité de Public salue la foule depuis le balcon du Gouvernement Général, le 15 mai 1958 ..............

On remarquera la couronne de fleurs en forme de croix de Lorraine devant lui !

* Pendant quelques jours, on resta dans l'incertitude. De Gaulle maintenait qu'il ne voulait pas devoir son investiture aux "factieux" d'Alger. Ces derniers se préparaient, avec l'aide du commandement militaire de Toulouse, à débarquer des troupes en métropole. Un commando de parachutistes atterrit en Corse pour y former un second "comité de Salut public", mais cette initiative en resta là. Au même moment, les rencontres et consultations se multipliaient autour de la résidence de De Gaulle à Colombey.  Il est aujourd'hui encore difficile de connaître la teneur exacte de ces échanges, mais la pression restait forte d'une menace d'intervention des militaires en France même. Finalement, Pfimplin démissionna et le président de la République se résolut à proposer à De Gaulle de former un gouvernement. Le processus de création de la V° république commençait.

*****Un "coup d'Etat" ?

**Dans la "tradition" de la Révolution Française (??)

En Algérie même, La référence à 1793 est en effet explicite par la dénomination "comité de salut public" des insurgés du 13 mai. Il faut remarquer que leur cible n'est pas le FLN, qui est leur ennemi direct, mais le gouvernement métropolitain, ce que presque aucun des historiens et commentateurs de l'époque ne signale tellement cela paraît évident à l'époque !

C'est pourquoi l'on parle tant d'un "coup d'Etat". Mais celui-ci a-t'il eu lieu ?

Le PCF, en France, a constitué, dès l'annonce des événements d'Alger, des "comités antifascistes". Sa référence à lui, c'était plutôt les manifestations des ligues d'extrême droite le 6 février 1934 et le Front Populaire. Il a été suivi dans cette interprétation par la CGT qui a appelé à la grève générale le 27 mai. Mais la SFIO a rejeté cette interprétation et l'appel à la grève, qui a été très peu suivie d'ailleurs. Certains commentateurs ont qualifié l'opinion publique métropolitaine comme indifférente. Elle est plutôt restée dans l'expectative et l'attente : personne ne souhaitait défendre vraiment une république moribonde, et les péripéties algéroises semblaient lointaines, de l'autre côté de la mer.

A Alger, la situation était confuse. Certes, à Alger, la foule est revenue plusieurs jours de suite devant le balcon du Palais du Gouvernement Général, pour écouter les discours du Comité de Salut Public. Mais celui-ci était-il vraiment insurrectionnel ? Certes, le général Salan, chef d'Etat-Major de l'armée d'Algérie, était membre actif de ce comité. Mais le président du conseil Pfimlin, élu le 13 mai, avait confirmé la décision de son prédécesseur de lui conférer légalement les pleins pouvoir sur tout le territoire algérien. A quel titre dirigeait-il donc l'Algérie ? Nul n'en savait rien. Pas même lui, peut-être ! Car en dehors du slogan "Algérie Française", aucune perspective politique n'était clairement apparente. Il est probable que les militaires, Salan et Massu au premier chef, voulaient un changement de gouvernement, mais pas de régime.

Il semble bien, donc, avec le recul que je peux avoir aujourd'hui, que cette confusion était souhaitée et entretenue tant à Paris qu'à Alger. Par le gouvernement d'abord, on vient de le voir. Par De Gaulle également : Il a répondu aux appels de Massu et Salan en disant qu'il était prêt "à assumer les pouvoirs de la république" et non à la renverser; lors de sa conférence de presse, le 19 mai à Paris, il a confirmé ne pas vouloir de dictature. Mais que voulait-il ? On vit alors se succéder, dès le 22 mai, les conciliabules discrets (sinon secrets) à Colombey, où se rendirent les principaux leaders de la droite, puis de la gauche parlementaire, sauf le PCF et Mendès-France.

De Gaulle à la conférence de presse qu'il donna à Paris le 19 mai 1958 :

" moi dictateur ?"

Ce dernier a déclaré alors : "c'est parce que le parlement s'est couché qu'il n'y a pas eu de coup d'Etat". Cette analyse est encore souvent défendue de nos jours. Elle repose sur l'initiative de certains militaires de tenter un coup de force en métropole, qu'ils appelaient "l'opération Résurrection". Le projet consistait en un parachutage de troupes commandées par Massu et Salan et coordonnées par le colonel Trinquier avec des troupes casernées dans la région parisienne. Le bruit courait que ce projet était soutenu par le commandant de la région militaire de Toulouse, le général Miquel, et Jacques Chaban-Delmas, qui avait déjà envoyé Léon Delbecque à Alger pour infiltrer le Comité de Salut Public. Ces initiatives, jamais concrétisées, ont alimenté la rumeur d'un coup d'Etat, en effet. Et cela aurait peut-être influencé ce qui s'est produit alors.

Ce qui s'est produit, c'est cette succession de négociations entre De Gaulle et les partis parlementaires qui aboutit finalement, quinze jours après le 13 mai, à une résolution de la crise qui eut toutes les apparences de la légalité. Le président du conseil élu, Pierre Pfimlin, a accepté de démissionner. Ce qui a permis au président de la République René Coty, d'appeler De Gaulle, le 29 mai, à former un nouveau gouvernement, dans lequel se sont retrouvé, comme ministres d'Etat, les principaux leaders du parlement d'alors.

Le programme de ce gouvernement : les pleins pouvoirs étaient remis à De Gaulle, et le travail de rédaction d'une nouvelle constitution à engager, dans les plus brefs délais, sous la direction de Michel Debré et le patronage d'un conseil regroupant les ministres d'Etat.

**Et l'Algérie ? Et la guerre ?

On notera plusieurs points caractéristiques : Léon Delbecques et Jacques Soustelles, bien que gaullistes fervents et acteurs importants des événements d'Alger, furent évincés des instances dirigeantes de l'UNR fondée le 1° octobre 1958. Le 14 octobre, les militaires (Massu, Salan et Trinquier) quittèrent le Comité de Salut Publique d'Alger qui se disloqua de ce fait.

Certes, De Gaulle, à partir du 4 juillet 1958, vint en Algérie. C'est là qu'il a prononcé sur le balcon du Gouvernement Général, devant la foule réunie, la fameuse phrase : "je vous ai compris", qui entretint la confusion générale sur le sort de la colonie. On objecte souvent que deux jours plus tard, à Mostaganem, il déclara : "vive l'Algérie Française", alors que deux ans plus tard il évoquait "l'Agérie algérienne"; Des commentateurs considèrent  cela comme un lapsus, mais on peut aussi penser que le point de vue du général n'était peut-être pas encore clairement constitué. De fait, les premiers actes de son gouvernement furent d'assainir les finances de l'Etat avec l'aide de son ministre Pinay et de l'économiste Jacques Rueff : dévaluation et création du "nouveau franc" en décembre 1958. Il s'était déjà orienté vers une politique européenne, qui avait été initiée en mars 1957 par le Traité de Rome. Je pense donc qu'il avait dans son esprit la liquidation de l'empire colonial, commencée par Mendès France avec la fin de l'Indochine puis les indépendances de la Tunisie et du Maroc, et qu'il allait poursuivre avec les indépendances des colonies subsahéliennes en 1960 et 1961.

Quant à la guerre en Algérie, il fallait y mettre fin progressivement, en évitant une défaite militaire et par la négociation car il fallait aussi préserver la population européenne d'Algérie. Et là, ce fut un échec, mais c'est une autre histoire. Car la préoccupation majeure, à Paris, c'était la réforme de l'Etat.

*****Quelle postérité ?

Aujourd'hui, l'on s'intéresse plus volontiers à l'évolution de la V° République qu'à l'évènement qui lui donna naissance. Si dans nos mémoires, la date de l'origine de ce cinquième avatar du régime républicain en France est bien le 13 mai 58, ce qui eut lieu alors se réduit d'une manière bien sommaire au retour de De Gaulle au premier plan. Ce qu'exprime crûment Serge Bersteim : "un coup d'Etat simulé pour une prise du pouvoir par le verbe !" (voir la bibliographie). A mon sens, c'est assez superficiel ! Aujourd'hui l'on s'interroge sur ce qu'est devenue cette V° république et certains, même, aspirent à une VI° du nom. Il me semble important de tenter d'approfondir.

*** Premièrement, il faut bien relever que la part prise par la population d'Alger, dans les faits, est ramenée par tous les commentateurs à une "masse de manoeuvre", une foule manipulée. Qu'en est-il en fait ?

 

*** Deuxièmement, l'étonnante valse des états-majors partisans autour de De Gaulle, entre le 13 et le 28 mai, que signifie-t'elle ? Ces partis exclus du pouvoir sous Pétain et soudain ressuscités en 1945, qu'allaitent_ils devenir après l'effondrement d'un régime qui était conçu par et pour eux ?

 

*** Troisièmement, De Gaulle n'était pas seulement un héros national, c'était aussi une des "grandes figures" de 39-45, porteuse, bon gré mal gré, d' "une certaine idée de la France".  Pourquoi l'avoir rejeté en 1946 et pourquoi son retour ? Qu'allait-il en advenir ?

 

*** Quatrièmement, l'enjeu ne peut être limité à des questions sur l'exercice du pouvoir d'Etat. Il y a, dans ce qui s'est passé, une remise à plat des questions qui se posaient à la libération et qui n'ont pas été traitées : à travers l'empire colonial, à travers le rôle joué par la France pendant et après la guerre, que devenait le pays ?

On voit bien que le 13 mai, si cet événement fut algérois, portait un faisceau de problèmes très complexe. La conjoncture immédiate a fait que le noeud de ces questions se trouvait bien sur la place du Forum et le boulevard Laferrière ce jour là. Les historiens se sont focalisés sur la question du pouvoir (moi-même y compris lorsque j'ai soutenu ma thèse en 1990). Les récits abondent sur ces deux sujets : sur la manière dont les partis se sont métamorphosés alors, à droite (invention de l'UNR) comme à gauche (transformation de la SFIO en PS); sur la présidentialisation de la République par De Gaulle dont l'ombre reste portée sur ses successeurs. La petite bibliographie, ci-dessous, en témoignera. Mais à mon point de vue aujourd'hui, ces questions deux et trois sont encadrées par les questions un et quatre dont l'examen est incontournable.

Pourtant elles sont très peu évoquées. Que peut-on en dire aujourd'hui ?

En ce qui concerne le rôle joué par la foule algéroise, le 13 mai et les jours suivants, il n'existe pratiquement aucune source sur ce sujet, et je ne peux que faire quelques conjectures. Si l'on se réfère aux banderolles, et surtout aux slogans criés et répercutés alors par les klaksons de voiture (AL-GE-RIE--FRAN--CAISE), je me demande si cela signifiait qu'il fallait faire de l'Algérie un ou des départements français, ou bien s'il fallait seulement se préoccuper un peu plus du sort des Français d'Algérie. Car je reste frappé du fait que, dans les jours qui suivirent, il n'existe aucune trace de manifestations en faveur ou en défaveur des déclarations et des manoeuvres visibles des états-majors politiques et militaires. Même la presse locale se révèle plus l'écho des courants de pensée partisans que des points de vue des pieds-noirs moyens. Est-ce à dire qu'ils ne furent qu'une "masse de manoeuvre" ? Je tends à considérer que la participation massive des Algérois fut une surprise générale, mais que la plupart ont assisté sans y participer à l'invasion du Palais du Gouvernement Général. Les Algérois ont créé l'occasion, la "divine surprise", dont les "Ultras" et les militaires, mais surtout les gaullistes, se sont saisis.

Ce que cela signifie peut être réfléchi à la mesure des événements ultérieurs. Je pense à Mai 68, aux manifestations qui suivirent et qui ont infléchi la politique des gouvernements. Je pense que l'expectative dans laquelle est restée la grande majorité des Algérois, de même que, il ne faut pas l'oublier, les appelés du contingent dont l'absence est significative, a sans doute refroidi les velléités putschistes au sein du Comité de Salut Public. L'opération "Résurrection" de parachutage en métropole a été avortée principalement pour cette raison. Ce qui m'amène à considérer que les pieds-noirs, dans leurs préoccupations, mettaient au premier plan leurs inquiétudes pour eux-mêmes dans la perspective d'un avenir post-colonial. Et il faut bien reconnaître que ce qui s'est passé ensuite a justifié cette inquiétude (les attentats de l'OAS et l'exode massif de 80% des pieds-noirs en métropole après le cessez-le-feu en mars 1962).

Il y a donc, de la part de cette "masse", une certaine intelligence de la situation d'alors, ou en tout cas une certaine justesse d'appréciation en même temps qu'une interrogation angoissée. Ce qui m'amène à la quatrième question. L'Algérie était une des deux seules colonies de peuplement européennes en Afrique (avec l'Afrique du Sud). Ses ressources souterraines avaient été fort peu explorées : le pétrole algérien a été découvert et mis en exploitation pendant la guerre, et ses nombreux gisements minéraux ont été pour la plupart inexploités avant l'indépendance. Seules ses ressources agricoles (blé, vignoble, alfa) ont été mises en valeur, ce qui rendait la balance des échanges commerciaux avec la métropole déficitaire. Il en était de même d'une grande partie des colonies d'Afrique Subsahélienne. Un courant de pensée opposé à la colonisation, le Cartiérisme (du nom de Raymond Cartier, reporter à Paris-Match) était porteur du point de vue selon lequel il fallait abandonner les colonies, considérées comme un gouffre financier et commercial.

Le pétrole jaillit au Sahara en 1957

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De fait, l'économie française se tournait déjà vers l'Europe, depuis la création de la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier) et de la CEE en 1957. Mais l'évolution de l'économie n'est peut-être pas l'aspect le plus important de la question. La seconde guerre mondiale avait bien montré que les colonies n'avaient guère eu d'importance alors (à la différence de la première). Ce qui dominait  le monde était l'affrontement entre les deux "blocs", Est et Ouest, et l'émergence de ce qu'on appela dès cette époque le "Tiers-Monde". L'affaire du Canal de Suez, où les deux anciennes puissances impériales, Grande Bretagne et France, avaient été renvoyées honteusement chez elles par les deux super-puissances, URSS et USA, est significative : le temps des empires coloniaux était révolu. Dès lors, l'Algérie était non seulement un boulet économique, mais encore un obstacle au redéploiement de la puissance Française, qui devait se faire dans le cadre européen. Ces perspectives économiques  absentent les pieds-noirs, ce qui modifie notablement notre vision de la conjoncture: cela ne leur laissait alors le choix qu'entre la violence déséspérée de l'OAS et la résignation de l'exode.

Sur le plan de la politique parlementaire, par contre, c'est un peu plus complexe. La constitution de la cinquième république, telle qu'elle fut élaborée au cours d'une âpre négociation entre les Gaullistes et les ténors des partis en place ( Guy Mollet, Antoine Pinay ...). Il s'agissait de faire le bilan des III° et IV° républiques, en rendant impossible la dispersion des pouvoirs en multiples instances, comme ce fut le cas entre 1956 et 1958, et l'éventualité d'un putsch militaire. Il fallait achever la reconstruction d'après guerre et permettre à la France de retrouver une place dans l'ordre mondial. Pour cela, comme on disait alors, il fallait un Etat "fort". Il en est résulté une modification profonde des rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif et du rôle des partis politiques. De nos jours, l'édification de l'Union Européenne, la chute du mur de Berlin et la montée en puissance des pays émergents ont complètement changé la donne. Le 13 mai 1958 n'est donc pas la naissance de la V° République. C'et événement ouvre des questions qui sont toujours ouvertes aujourd'hui : les migrations, les questions de langue et de culture ... et de religion, la place de ce pays dans l'Union Européenne et le monde

Le 13 mai 1958 est-il donc un événement ? Oui certes ! Mais ce n'est pas, selon moi, pour avoir donné au pays une nouvelle constitution. Ce n'est pas vraiment le début d'une ère nouvelle. C'est un événement au sens de la rupture avec un passé révolu, celui de la puissance impériale. La "françafrique" en est certes encore une nostalgie. Les traces de ce passé demeurent toujours fortes en France même. Il y a dans le souvenir de la soudaineté et de la violence des faits la marque d'un choc traumatique. 

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Files d'attentes, 2 valises par personne, hommes, femmes et enfants, à la gare maritime d'Alger. Date indéterminée.

Quelques éléments de bibliographie pertinente, cueillis dans la masse des publications sur le sujet, que ce soient des mémoires, des récits journalistiques ou romancés, ou des travaux d'historiens :

Etienne Maquin, Le Parti Socialiste et la guerre d'Algérie, (1954-1958) Paris, L'Harmattan, 1990

       Ma thèse de doctorat qui n'aborde qu'un côté de la question

Serge et Merry Bromberger, Les 13 complots du 13 Mai, Paris, Fayard, 1959

       Une enquête journalistique sur les multiples tentatives de récupération de l'événement

Georgette Elgey, Histoire de la IV° République, cinquième partie tome 3, la fin, Paris, Fayard, 2008

       Extrêmement bien documenté, un travail toutefois marqué par les sympathies gaullistes de l'auteure, donc centré sur De Gaulle

Jean Pierre Rioux, La France de la IV°République tome 2, expansion et impuissance, coll. Points-histoire Le Seuil 1983

       Le point de vue historien classique du côté de l'Etat exclusivement

Michel Winock, l'agonie de la IV° République, les journées qui ont fait la France, Paris, Gallimard 2006

       qui pose des questions souvent pertinentes

Serge Berstein, Un coup d'Etat simulé pour une prise du pouvoir par le verbe, in Histoire du Gaullisme, Perrin 2001, p 208

       Le titre, en lui même est expressif de ce point de vue

Pierre Girard, Le 13 mai dans l'historiographie, in Mai 1958, sous direction de JP Thomas, B Lachaise et G. Le Béguec, Presses Universitaires de Rennes, 2010, pp 31 à 38.

       Un travail complet qui met bien en évidence que le bilan de l'évènement reste à faire.
 

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