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Napoléon empereur

ou le retour de la monarchie ?

l'histoire est-elle une science objective ? Poser la question, c'est déjà répondre que non ... Ainsi, lorsqu'on évoque Napoléon Bonaparte, on a beau faire allusion à Marx pour dire que "les hommes font l'histoire avant de la relater", et suggérer ainsi que, comme les héros de la mythologie grecque, il a imposé sa marque sur notre passé, on pratique, une démarche historique régressive. On attribue à Napoléon le code civil, la diffusion européenne des "lumières" et du libéralisme, la modernité politique. D'autres, bien que critiques à son égard, font la même démarche lorsqu'ils prétendent que Napoléon serait le précurseur du totalitarisme par sa dictature et ses conquêtes, en poussant jusqu'à ses dernières conséquences une logique de "guerre totale". Quoi qu'il en soit, Napoléon incarne parfaitement, il est le modèle du "héros historique". Il se sacra lui-même empereur le 2 décembre 1804. Mais en quoi  son règne a-t-il pu être un événement historique ? Fut-ce l'accomplissement ou la négation de la Révolution, dont il était issu ?

Un « héros légendaire »

Le sacre de Napoléon I° marque une rupture avec le processus révolutionnaire, incontestablement. Pour la postérité, cela change Bonaparte en Napoléon, et le fait entrer dans la légende. Selon beaucoup d'historiens, ce ne fut pas un idéologue, et c'est sans doute vrai. Aventuriste et "géostratège", il développa les méthodes de guerre initiée sous la révolution française, en mobilisant toutes les forces du pays à l'intérieur pour dominer l'Europe à l'extérieur. Conquérant pour établir en Europe un "ordre nouveau", sous la révolution (qui créa en effet les "républiques-soeurs"), il ne fut pas pour autant un libérateur. Il avait connu Pascal Paoli, le "libérateur" corse mais il ne l'imita pas. Comme Paoli en Corse, Washington en Amérique et bien d'autres à cette époque, il pensait qu'il fallait une guerre , une action de force, pour abattre l'ordre ancien et en instaurer un nouveau. De ce point de vue, il est possible de considérer Bonaparte comme un révolutionnaire selon la définition sommaire de la révolution : le renversement violent de l'ordre établi par un mouvement de masse. Mais il ajoute à cela la figure du chef charismatique. Selon cette dernière, il fut celui qui réalisa, stabilisa et généralisa les innovations de la Révolution Française dans un projet qui était d'"exporter" dans toute l'Europe un nouveau régime par la force armée, même si ce même projet avait été initié bien avant par les conventionnels en 1792, même si c'est par un régime autoritaire qu'il imposa ces réformes.

Cependant, il y a, semble-t-il, une contradiction dans l'idée des auteurs de cette légende : les mêmes historiens justifient sa politique en décrivant de manière caricaturale la révolution, de 1789 à 1799, comme un moment de violences inouies, commençant par des réformes modérées qui dégénérèrent en mesures coercitives extrémistes suivies d'un épisode de violence aveugle, la "terreur" et une réaction brutale. Le dégoût général qui en résulta selon eux généra un désir croissant de voir paraître un "homme à cheval" providentiel qui rétablisse l'ordre. Fut-il donc un contre-révolutionnaire ? Commençons par examiner le portrait consensuel de Bonaparte-Napoléon !

 

Selon eux, Napoléon fut un "opportuniste-né", sans croyance, sans idéologie, un pur carriériste. Il aurait plutôt été rousseauiste, partisan de la direction, éclairée par des intelligences supérieures, d'un mouvement de masse, en application de la notion de "volonté générale". Il serait donc favorable à un changement rapide et décisif, mais dans l'ordre. Sa politique aurait été guidée par l'idée que les réformes, le changement dans le sens du progrès, ne peuvent venir que "d'en haut", le mouvement de masse étant selon lui haïssable par nature. Le rapport du régime bonapartiste à la Révolution est donc complexe.

 

Qui était donc Bonaparte ?

Je ne vais pas ici revenir sur la biographie de Napoléon Bonaparte qui n'apporte rien pour comprendre le pourquoi de cette légende. Il n'y a pas là de quoi crier au génie politique, tant les idées qui la soutiennent sont parfaitement conservatrices, au point de se rapprocher des tendances contre-révolutionnaires. En fait, Bonaparte avait longtemps fréquenté les milieux jacobins. Une fois au pouvoir, il s'est appliqué à mener à leur terme les mutations de  l'administration du pays que les révolutionnaires avaient déjà ébauchées avant lui. De même, leur présentation du "génie militaire" de Napoléon est pour le moins sommaire : sa tactique consistait à concentrer l'assaut sur un point précis du dispositif adverse, en privilégiant mobilité et rapidité. Son objectif était sans doute de détruire, mais surtout de faire peur et démoraliser l'ennemi. Par ailleurs, il cherchait à diviser cet ennemi, de sorte que même s'il était inférieur en nombre globalement, il soit supérieur en nombre au point de contact. Il avait su, pour appliquer cela, s'entourer de chefs de guerre talentueux. Il avait une science très pointue de l'usage de l'artillerie, servie par les canons Gribeauval, très maniables et puissants, mis au point en 1765. Il disposait et savait se servir également d'une cavalerie excellente menée par des chefs audacieux, comme Murat. Il sut s'attacher Talleyrand en diplomatie et Fouché en police, mais aussi Berthier en logistique et Carnot en organisation des communications (le télégraphe Chappe) et du recrutement des troupes. Ces hommes étaient tous issus de la Révolution Française.

 

Ce qui n'est pas dit dans la légende, c'est que l'ascension de Bonaparte a reçu le soutien de l'arriviste Barras (un des Directeurs de l'Etat qui le connaissait depuis le siège de Toulon en 1793) et profité du désordre du Directoire (en réprimant l'insurrection royaliste de 1795). Il a donc bénéficié de l'héritage de la révolution, qui a permis des ascensions rapides, y compris la sienne : la promotion par le mérite en remplacement de la promotion par la naissance, même s'il a profité de relations personnelles avec des hommes d'Etat. La Révolution a mis en place, pour remplacer les cadres de l'ancien régime, une administration centralisée, rationnelle et capable de mobiliser bien plus de ressources que la monarchie. Bonaparte s'en est servi : il a été ainsi l'initiateur avec Carnot d'un système médical et sanitaire accompagnant les armées, d'une organisation du ravitaillement et de l'équipement des troupes extrêmement rapide et efficace. L'armée napoléonienne fut, en fait, l'armée issue de la révolution, celle qui se révéla à la bataille de Valmy : un "amalgame" des vétérans de l'armée royale, ralliés à la révolution contre la noblesse qui accaparait les grades et titres,  avec les volontaires issus de la "garde nationale" et les conscrits de la "levée en masse". Une armée combative, disciplinée, et motivée tant par l'idéologie révolutionnaire que par l'appât du gain dans les pillages. Bonaparte sut galvaniser ces soldats en donnant toute son importance au moral des troupes et à la promotion au mérite. On ne peut se contenter de mettre en évidence les pillages et les extorsions de fonds et de ressources sur les pays conquis par cette armée, ce qui est vrai aussi, même si la justification de cela était de faire participer les vaincus à l'effort d'expansion de la révolution dans sa dimension universalisante. Si des historiens bonapartistes présentent leur "héros" en opposition à la Révolution, ils occultent le fait qu'il fut quelque part le produit de la Révolution.

 

Napoléon, révolutionnaire ou contre-révolutionnaire ?

Bien des historiens de l'Empire occultent que Napoléon ait appliqué la politique révolutionnaire dite "des républiques-soeurs", qu'il la prolongea ensuite en créant des royaumes sur lesquels il imposait ses proches comme monarques ainsi que des constitutions et des lois calquées sur celles de la France. Par exemple, lorsqu'on évoque la campagne d'Egypte, en disant que cet échec militaire fut habilement transformé en succès culturel, on la présente comme une campagne de pillages et de rapines, alors que cela pouvait également revêtir un objectif de "mission civilisatrice", ce qui est souvent  rapproché de la politique coloniale de la Troisième République.  Je penserai plutôt à une conception très classique de la conquête. Il s'agissait à la fois d'exporter en Orient les "lumières", mais aussi de découvrir l'Orient : c'est pendant son expédition que la pierre de Rosette fut découverte, avec laquelle, plus tard, Champollion décrypta les hiéroglyphes. Il est vain de comparer cela aux conquêtes d'Alexandre le Grand, alors que la vision universaliste d'Alexandre était tout-autre, religieuse et philosophique autant que militaire ; et c'est un peu rapide de limiter cette stratégie à l'intention d' asphyxier la Grande Bretagne (alors que le canal de Suez n'était pas encore construit). Rien à voir non plus avec les régimes du XX° siècle, ni le communisme stalinien, ni le "reich de mille ans" Nazi. Tout cela serait anachronique.

 

En somme, beaucoup de détracteurs  de sa légende considèrent Napoléon comme l'homme qui a interrompu la révolution, comme un conservateur, même s'il a adopté de nouvelles méthodes de gouvernement, et finalement comme un général génial, mais un politique médiocre. Est-ce vrai ?

 

Il faut prendre en compte que cette approche historique est extrêmement discutable :

- elle pratique l'anachronisme à grande échelle, en qualifiant "l'impérialisme culturel" de Napoléon en Egypte et dans les « républiques-soeurs » comme un racisme, sans jamais expliquer ni démontrer quoi que ce soit.

- dans cette description de l'histoire de l'empire, la méthode est régressive, puisqu'on part de l'empire pour expliquer le consulat et du consulat pour expliquer son attitude pendant la révolution. Or, c'est pendant le consulat que l'oeuvre politique de Bonaparte fut la plus importante. Il est inexact de dire que Napoléon ne fut qu'un chef de guerre.

- elle présente la politique économique de Napoléon comme une politique favorisant l'artisanat de luxe au dépens de l'industrie de masse, simplement parceque Napoléon a laissé se développer une cour impériale fastueuse (alors que lui-même vivait sur un train assez frugal) et des projets monumentaux dans toute l'Europe sous sa domination.

- le code civil, ou "code napoléon", n'est que la concaténation des "milliers" de lois faites par les révolutionnaires pour rénover la législation héritée de l'ancien régime. C'est sans doute exact. Encore fallait-il le faire, et le faire en voulant cette nouvelle législation "pour tous". Certes il a rétabli l'esclavage et bradé la Louisiane aux Américains; il a aussi restreint le droit des femmes et le droit de vote en maintenant le suffrage censitaire (lequel fut mis en place par la constitution de 1791 et remplacé en 1792 par le suffrage universel) . Napoléon aurait pensé que "seul le pouvoir peut corriger les abus du pouvoir". D'où sa décision d'écraser la révolte de Toussaint Louverture et des noirs antillais. Mais cela fut motivé principalement par des considérations géopolitiques : la rivalité Franco-Britannique et l'avenir du commerce avec les Antilles, lui aurait semblé prévaloir sur l'émancipation des esclaves. Tout cela met en évidence que l'oeuvre du Consulat et du Premier Empire fut mitigés et que ses "avancées" vers le monde moderne furent limitées mais réelles.

 

Quel bilan de l'empire ?

Il faut bien reconnaître que "l'empire", mais en fait les conquêtes révolutionnaires et napoléoniennes conjuguées, ont profondément modifié l'Europe. Il incarna longtemps la modernité, regroupant des confettis de principautés néo-féodales en Allemagne et en Italie, modifiant les lois et les coutumes, tant qu'il incarnait l'héritage positif de la révolution. Mais on doit aussi pointer une conséquence de cette influence qui va se retourner contre l'empire, à partir de 1812 dit-on, mais je pense plutôt à partir de 1810 et de la guerre d'Espagne. J'observe alors tout à la fois un retour à la religion (Chateaubriand, "le génie du christianisme"), l'essor du romantisme allemand (Goethe, Schiller, Beethoven) et de la peinture (Goya et Delacroix qui vont supplanter le néoclassicisme de David), tandis que les leçons de la guerre sont retenues par Klausewitz et l'armée prussienne. L'effondrement de l'empire en trois ans ne résulte pas seulement des défaites militaires de Napoléon, face aux tactiques de guerilla espagnole et de repli défensif de Wellington et Koutousof (la retraite de Russie), face aussi à l'éveil des nationalismes Espagnol, Italien et Allemand. Ce fut aussi celui du régime impérial en France : marasme économique et démoralisation de l'opinion.

 

Quel bilan peut-on donc tirer de l'aventure Napoléonienne ? La France est sortie exsangue des guerres napoléoniennes en vidant les campagnes de leurs forces vives, et le développement de la Révolution Industrielle dans ce pays en fut durablement retardé au profit d''une autarcie économique (le "blocus continental") affaiblie par les considérables ponctions de l'effort de guerre. On peut relever les transformations opérées en France et en Europe des mentalités pendant cette période du consulat et de l'empire (par exemple l'expansion du code civil). Pourtant l'établissement d'un régime autoritaire en France sous l'Empire favorisa le retour de la monarchie sous la "Restauration" après 1815. Il fallut attendre 1848 pour que le suffrage universel, inventé en 1792, soit durablement institué. Mais ce ne fut pas un effacement total de la période révolutionnaire. La révolution ne fut pas une période de chaos et d'horreurs; l'instabilité politique, les épisodes de guerre civile et de terreur qu'elle connut et qui sont mis en avant pour mettre en valeur la manière dont le Consulat et l'Empire y ont mis fin ne doivent pas occulter ce qui fut alors accompli et dont la période napoléonienne hérita. Après le chute de Napoléon, le congrès de Vienne ne fut pas un traité de paix, bien au contraire (les Balkans et la Grèce mises à feu et à sang, l'indépendance de la Belgique, puis les pronunciamentos répétés en Espagne, les soulèvements révolutionnaires répétés entre 1830 et 1871 en France, en Italie, en Irlande et en Europe de l'Est, l'unification mouvementée de l'Allemagne, le partage de la Pologne et de l'empire autrichien, etc, etc ...). Le XIX° siècle tout entier fut le théâtre de soubresauts consécutifs à la révolution, et l'empire napoléonien sur l'Europe fut bien loin de les empêcher.

 

La guerre napoléonienne

Il faut enfin prendre en considération Bonaparte-Napoléon comme homme de guerre. Si nul ne conteste à Napoléon un génie guerrier, il reste tout de même à savoir, à cet égard, ce que nous héritons de lui. On lui attribue souvent l'invention du concept et de la stratégie de « guerre totale », dont l'application fut poussée à l'extrême au XX° siècle. La guerre totale, c'est celle qui mobilise toutes les ressources d'un pays, économiques, humaines, de connaissances scientifiques et techniques, par une gestion centralisée, l'opposition politique muselée, les opinions contrôlées par la maîtrise de la propagande. Certes, on peut trouver des traces de cela pendant les guerres révolutionnaires (la « levée en masse » des conscrits) sous le Comité de Salut Public et la "Terreur". L'empire napoléonien imposa les mêmes contraintes à la population (le « blocus continental » et la police de Fouché, par exemple). L'expression "guerre totale" n'est pas de l'époque de Napoléon, elle est une création du XX° siècle. Clausewitz, qui a théorisé les guerres napoléoniennes dans son célèbre ouvrage, De la guerre, ne l'emploie pas mais plutôt l'expression "guerre absolue", dont l'objectif, dit-il, est d'anéantir les forces armées de l'ennemi mais pas l'ennemi lui-même (selon le même auteur, l'objectif réel de le guerre, "la continuation de la politique par d'autres moyens", est de réduire l'adversaire à sa volonté, et non de le détruire). La guerre selon Napoléon n'était pas un but mais un moyen.

 

 

Napoléon, en fait, a sans doute cherché toujours dans ses campagnes de manoeuvrer l'ennemi pour anéantir son armée en une seule bataille décisive, ce qui était une vision de la guerre héritée de l'ancien régime. Mais par la suite, il a toujours voulu faire suivre cette victoire par un traité de paix. Il a pensé la guerre armée contre armée, même s'il considérait les combattants animés par une volonté supérieure et un moral (selon lui, l'entretien du moral, c'est les 3/4 de la guerre). En ce sens il est bien l'héritier de la révolution. Car la guerre que Napoléon a pratiquée serait plutôt un concept initié par les révolutionnaires, ceux de la Convention de 1792 et de 1793, qui ont déclaré "la patrie en danger", imaginé "la levée en masse", et organisé la conscription, la mobilisation économique et la réquisition des ressources. Ce que Napoléon y a ajouté, c'est le contrôle de la presse et la police de Fouché. Par contre la mobilisation des civils, y compris les femmes, dans l'effort de guerre, le rationnement, la censure du courrier, les camps et ce qui s'ensuivit, c'est au XX° siècle que cela s'est produit. Ce que Napoléon a mis en place, et qui fut théorisé par Clausewitz, c'est la guerre conçue comme un art fondé sur des principes rationnels au service d'une volonté. Ce qui en est extrapolé au XX° siècle, c'est de concevoir la guerre comme une politique. Il est possible de penser que la "guerre totale" au XX° siècle a été le développement en continuité de la "guerre absolue" napoléonienne. A mon point de vue, ce n'est pas la même chose.

 

Il faut éviter de considérer l'histoire comme une continuité, et les guerres napoléoniennes comme la matrice des guerres modernes. Il ne faut pas céder non plus à une conception antagonique, celle qui oppose le bien au mal au point de déformer la réalité des faits pour démontrer l'indémontrable. Ce qu'ont popularisé les historiens bonapartistes pour justifier la restauration post-napoléonienne et, peut-être, au delà, le caractère néo-monarchique de la constitution gaullienne de la V° république. Le bien serait le réformisme et la monarchie parlementaire; le mal serait la révolution, la république, la démocratie directe, car la guerre totale en serait le résultat. En vérité, il faut bien admettre que ce que Napoléon a voulu fonder, c'est un régime politique nouveau. Il faut bien admettre qu'il a échoué. Ces représentations déformatrices, outrageusement antagoniques, n'expliquent pas l'époque mais plutôt le personnage légendaire qui en a été tiré dans ce qu'on appelle aujourd'hui "le bonapartisme".

 

Le « bonapartisme »

En fait, beaucoup des analystes de Napoléon Bonaparte se concentrent sur le personnage plus que sur son époque. Ils reconnaissent que la figure de Napoléon est controversée : au XIX° siècle il fut mobilisé pour ou contre la restauration de l'Ancien Régime et la Sainte Alliance issue du Congrès de Vienne. Les anti-bonapartistes ont produit alors le personnage fictif du grognard "Chauvin" pour caricaturer la nostalgie des anciens combattants de l'empire. Les partisans de celui qui devint Napoléon III ont obtenu le retour en France de la dépouille du grand "petit caporal" et sa mise au tombeau des Invalides. Par la suite, Victor Hugo l'a déclaré "Prométhée moderne" tandis que l'historien Elie Faure en faisait le portrait d'un "prophète des temps modernes". Bref, Napoléon était, et est encore pour beaucoup l'initiateur de la période dite "contemporaine", un monstre de génie et de puissance, controversé mais incontournable. D'autres le présentent comme un "condottiere moderne", un héros incarnant le "prince" tel que Machiavel l'aurait voulu.

 

A-t'il interrompu la révolution par le coup d'Etat du 18 brumaire selon les uns, par son sacre impérial selon les autres ? Je ne suis pas tout à fait d'accord là dessus. La révolution a-t-elle été interrompue ? Alors que la révolution elle-même interrompait le cours de l'histoire de "l'ancien régime " ! Cela a-t-il du sens ? Il est vrai que beaucoup d'historiens ont présenté le coup d'Etat du 18 brumaire comme mettant fin à un Directoire moribond, qui avait déjà échappé à deux tentatives précédentes de coups d'Etat. Mais il est vrai aussi que Bonaparte, par la suite a mis la dernière main à une longue série d'innovations administratives, juridiques et techniques que la Révolution avait engagé depuis 1793. Il est considéré à ce titre comme un continuateur de l'oeuvre de modernisation révolutionnaire. On peut considérer aussi que le coup d'Etat du 18 brumaire, mené par Bonaparte en général de l'armée révolutionnaire, fut réalisé surtout pour empêcher les Jacobins de gagner les élections législatives qui s'annonçaient, et de rétablir une république robespierriste. De fait, la dictature consulaire de Bonaparte mit fin à tout espoir de continuer la révolution. Ce n'était pas pour autant l'accession de l'armée au pouvoir. Sans doute, les méthode de Bonaparte pour gouverner peuvent le faire penser : des réformes menées au pas de charge, une répression brutale et quelque peu sanglante de toute opposition. Sa stratégie européenne n'était pas pour autant limitée à cela. C'est pourquoi, en dépit de ses thuriféraires comme de ses détracteurs, Napoléon n'est pas un modèle, et le « bonapartisme » de certains n'est qu'un masque de la tentation du pouvoir absolu. Il reste à élucider comment et pourquoi le Consulat se mua en empire et Bonaparte en Napoléon. Faut-il considérer que ce n'est que la fascination fiévreuse du pouvoir qui en fut la raison ?

C'est pourquoi l'on peut considérer que la rupture avec la révolution fut le couronnement impérial.  Qu'est-ce qui a été rompu alors ? La monarchie absolue, abolie par les révolutionnaires dès 1789, concevait le pouvoir d'Etat comme octroyé par Dieu. La République considère que l'autorité souveraine procède d'un accord entre le chef d'Etat et les sujets, appelés alors "citoyens". La question qui a été ouverte par la Révolution Française, c'est celle du rapport entre l'Etat et la population civile. Par le sacre impérial, Napoléon a occulté cette question. S'il est porteur de "l'héritage de la révolution", il l'est par cette occultation de la citoyenneté, de la relation entre l'Etat et les habitants du pays. Saint Just avait tenté de formuler cette problématique et Napoléon l'a fait taire.

Mais si cette question a été occultée, elle n'est pas disparue et ne le sera sans doute jamais. Elle est particulièrement actuelle : jusqu'à quel point l'assemblée des représentants , dite "nationale", est-elle représentative ? Jusqu'à quel point peut-il y avoir fusion ou même communauté de vues, d'intérêts, de pensée entre les hommes d'Etat et la Nation ? Napoléon qui se couronna lui-même empereur fut-il l'héritier de la Révolution Française ou le successeur des rois de France ? Cette expérience marque-t-elle un retour à l'Ancien Régime ou, tout simplement, l'impossibilité de la fusion entre l'Etat et la Nation ? Existe-t-il une autre possibilité du peuple que d'être esclave ou souverain ?

 

Bibliographie récente

Ce qui précède met en évidence ce qu'aujourd'hui certains admirent chez Napoléon. Il y a du "bonapartisme" dans la pensée de l'homme providentiel qui anime encore les gaullistes et une certaine représentation du présidentialisme. C'est le cas de l'auteur ci-dessous :

Patrice Gueniffey, "Bonaparte, 1769 - 1802", folio histoire, 2016. Il a d'ailleurs commis la publication d'un livre qui fait ce rapprochement entre Bonaparte et De Gaulle (Napoléon et de Gaulle. Deux héros français, Paris, Place des éditeurs, 2017). C'est en effet une figure relativement proche de l'idéologie de "l'entrepreneur" et de l'individualisme triomphant, qui accompagne assez bien une tendance du libéralisme actuel : un Etat autoritaire au service d'un affairisme débridé.

 

On trouve aussi des critiques de Bonaparte chez les auteurs anglo-saxons, comme Paul Johnson, un journaliste anglais, préfacé par Thierry Wolton, chez Buchet-Chastel, une édition de 2003 rééditée en 2018, qui résume tous les griefs des Anglais contre lui.

Mais il faut lire aussi Carl von Clausewitz, De la guerre (1827-1837), et la préface de Jean Tulard, spécialiste reconnu de Bonaparte au livre "comment faire la guerre", une série de citations de Napoléon, Fayard, 2003

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