
La Commune de Paris
et de province (Lyon, Marseille, Toulouse et une quinzaine d'autres villes)
mars-avril 1871

Il y a sur cet événement beaucoup à dire ... D'abord que ce ne fut pas une révolution prolétarienne avortée, mais un mouvement foisonnant qui mêla le patriotisme, les innovations sociales, politiques et culturelles, et que cela ne se limita pas à Paris même. Cette complexité, cette richesse furent longuement et largement occultées par une légende noire de la Commune et des massacres qui l'ont écrasée, puis par la volonté de la faire oublier ou d'en faire la victime héroïque, fondatrice du mouvement ouvrier. Mais aujourd'hui, en quoi cet événement nous concerne-t-il ?
Il y a plus de 5000 livres sur le sujet. Et d'autres communes à la même date ( Lyon, Marseille, Saint Etienne, Le Creusot, Narbonne, Toulouse, Limoges, Nîmes, Grenoble, Rouen, Le Havre, Besançon, Foix ...). Il y a aussi des mémoires, celles de Lissagaray, celles de Jules Vallès, de Louise Michel et bien d'autres. Tout récemment, les historiens s'y sont intéressés de près :
La Commune de Paris 1871, les acteurs, les événements, les lieux
ouvrage collectif coordonné par Michel Cordillot, Les éditions de l'Atelier, 2021, 3° édition (anciennement éditions ouvrières), ouvrage "global", 30 auteurs, 12436 pages, 500 biographies. Cordillot centre l'intérêt de ses recherches sur le gouvernement communard et son oeuvre sociale. Il considère que c'est un "moment charnière" vers la républicanisation de la France. Une conception de l'histoire en termes de progrès. A cet égard, il reste encore attaché à la légende de la Commune, celle qui fait oublier une partie des faits.
Autre ouvrage : Commune(s) 1870-1871, de Quentin Deluermoz, Paris, l'Univers Historique, Seuil, 2020.
Une vision plus orientée vers "l'histoire mondialisée", peut-être sous l'influence de Patrick Boucheron. Mais aussi nettement plus sensible, bien qu'encore progressiste, à la dimension événementielle de la Commune.
Chronologie :
a) la guerre
Napoléon III, au pouvoir depuis 1848, est poussé à la guerre pour limiter l'opposition républicaine qui s'est renforcée depuis les dernières élections. En Allemagne, Bismarck, lui aussi, veut la guerre pour unifier les Allemands derrière la Prusse.
19/07/1870 : déclaration de guerre de la France à la Prusse
4-7/08/70 : défaites en Alsace
8/08/70 : soulèvements à Marseille, Lyon et au Creusot, manif contre la guerre à Paris
2/09/70 : défaite de Sedan
b) Paris assiégé
4/09/70 : proclamation de la république
5/09/70 : 20 comités de vigilance républicains à Paris pour surveiller l'état-major monarchiste.
19/09/70 : siège de Paris par les Allemands
27/10/70 : Bazaine capitule à Metz
28-30/10/70 : première sortie au Bourget; échec !
31/10/70 : une manifestation envahit l'hôtel de ville de Paris, les chefs des révoltés emprisonnés
30/11/70 : 2° sortie à Champigny; échec !
05/01/71 : début des bombardements prussiens sur Paris
17/01/70 : défaite des armées levées en province par Gambetta
c) le gouvernement se résigne à la défaite
18/01/71 : proclamation de l'empire d'Allemagne à Versailles
19/01/71 : 3° sortie à Montretout; échec !
28/01/71 : le gouvernement provisoire signe un armistice avec les Allemands
8/02/71 : élections législatives nationales, raz de marée monarchiste
17/02/71 : Thiers président de la République
26/02/71 : préliminaires de paix à Versailles : en échange de l'acceptation des conditions allemandes (annexion de l'Alsace-Lorraine à l'empire, indemnité de 5 Milliards), libération des prisonniers de guierre et reconstitution de l'armée française.
d) mais pas les parisiens : la Commune !
18/03/71 : les canons de Montmartre que l'armée veut enlever sont gardés par la population; deux généraux sont fusillés par les habitants de la butte; le gouvernement quitte Paris, les insurgés progressent de la banlieue vers le centre.
19-24/03/71 : création du comité central de la garde nationale
26/03/71 : élections de la commune, proclamée le 28
e) la guerre civile
4/04/71 : après plusieurs tergiversations, offensive fédérée qui échoue; Flourens, chef communard, est fusillé par les Versaillais
6/04/71 : prise d'ôtages à Paris suite aux exécutions sommaires de prisonniers par les Versaillais; le général monarchiste Mac Mahon commandant en chef des Versaillais
8/04/71 : Les Versaillais bombardent Paris; manifestation des Francs-maçons
12/04/71 : démolition de la colonne Vendôme par les parisiens
20 au 25/04/71 : plusieurs mesures sociales sont prises par la Commune
28/04/71 :L'enseignement est proclamé laïque
1°/05/71 : Un comité de salut public créé malgré l'opposition d'une forte minorité de délégués de la Commune
10/05/71 : signature du traité de Francfort par le gouvernement de Versailles
15/05/71 : divisions de la Commune sur les décisions autoritaires du comité de salut public
f) la semaine sanglante
21/05/71 : Les Versaillais entrent dans Paris
24/05/71 : Incendie de l'Hotel de Ville et des Tuileries; des ôtages sont exécutés par les Communards
27/05/71 : 147 communards sont fusillés au Père Lachaise par les troupes Versaillaises, de nombreux autres sur place après chaque prise d'une barricade.
28/05/71 : fin de la Commune.
Bilan : 12000 à 17000 morts, dont environs 7000 fusillés, 38614 prisonniers, 3.300 en fuite (en fait près de 5000 exilés). Au total, il y a eu 50000 jugement au tribunal, mais seulement 10000 condamnations.
Postérité de la Commune de Paris :
C'est à cela qu'il faut s'intéresser d'abord, tellement l'événement est politiquement connoté. On peut en compter 5 versions différentes.
A/ D'abord elle fut calomniée, bien que les républicains aient obtenu l'amnistie générale en 1880 : Considérée comme une anarchie et un désordre, en mettant en scène les "pétroleuses" les incendiaires, les assassins d'ôtages et autres pillards. On a également fait courir la rumeur que la Commune faisait régner la terreur comme en 1793. Il en reste la construction de la basilique du Sacré Coeur sur la butte Montmartre, érigée comme un monument expiatoire à l'emplacement même du commencement de l'insurrection du 18 mars 1871.
B/ Puis la postérité s'est polarisée sur la "semaine sanglante", exagérant les fusillades des insurgés par l'armée de Versailles avec le rituel du "mur des fédérés". Il en sort une exaltation de la représentation de l'insurgé, déjà à l'oeuvre en souvenir des révolutions de 1830 et 1848, également de celle des barricades de 1871(il y en eut en effet plusieurs centaines, mais seulement 95 opposèrent une résistance significative aux "versaillais").
C/ De la part de ceux qu'on a appelé les "républicains modérés", qui, sans suivre Thiers dans sa répression impitoyable, ont considéré la Commune de Paris comme un soulèvement désespéré, une "tragédie absurde et inutile" qui ne pouvait conduire qu'au massacre, il y a eu de nombreuses mais vaines tentatives de conciliation, puis des efforts redoublés pour obtenir une amnistie, finalement couronnés de succès. A la suite de quoi, ils se sont appliqués à faire oublier la Commune, comme un non-événement. La république, troisième du nom, qui sortit de ces événements ne voulut avoir aucun lien avec la Commune et n'en revendiqua surtout pas l'héritage. Ce fut un régime purement parlementaire de type représentatif qui confina la fonction présidentielle à un rôle honorifique (après la double expérience de la présidence tournée en empire de Napoléon III, de la présidence dictatoriale de Thiers et de celle qui faillit tourner en restauration monarchique de Mac-Mahon).
D/ Cet oubli prit fin, je pense, notamment après Mai 68. La réactivation de l'existence possible d'un mouvement de masse capable de porter une ou des pensées politiques, cela a fait ressurgir la mémoire de la Commune de Paris. Entretemps, la postérité historique de la Commune a donc été monopolisée longtemps par les marxistes. Mais il existe une postérité politique positive revendiquée : assez peu de la part des socialistes, car il y eut en fait peu de mesures "socialistes" mises en oeuvre par la Commune, mais effective. L'interdiction du travail de nuit des boulangers, la laïcité, le moratoire des loyers, l'école laïque, gratuite et obligatoire, la liquidation des dettes, l'abolition de la conscription, l'interdiction des retenues sur salaire, tout cela fut pratiqué par la suite sans qu'il soit dit que c'était inspiré de l'expérience communarde. Puis, tout cela fut glorifié et revendiqué publiquement par des communistes et des anarchistes.
La cinquième postérité : positive !
Celle des communistes "utopiques", les anarchistes : ils étaient influencés surtout par Proudhon, moins par Bakounine; Blanqui, absent car prisonnier, n'a pas eu d'influence directe. La défaite de la Commune a porté un coup fatal aux Proudhoniens comme au Blanquistes. Néanmoins, la Commune a renforcé le courant appelé "communaliste" : une organisation de démocratie directe locale appuyée sur une fédération de communes à l'échelle nationale. Ce courant, toujours actuel, s'inspire beaucoup de l'organisation de la garde nationale parisienne, dont les membres s'appelaient les "fédérés". On en retrouve tout de même encore des traces dans les événements récents, comme les "nuits debout" de 2016, ou comme certaines initiatives à la suite du mouvement des Gilets Jaunes en 2019 et ses revendications de référendum d'initiative populaire, peut-être aussi certains aspects de la ZAD de Notre Dame des Landes. Par ailleurs on retrouve certains des Communards, après leur amnistie en 1880, au sein du mouvement anarcho-syndicaliste, tel Jean Baptiste Clément, l'auteur du "Temps des cerises". Il en reste donc cette utopie persistante : celle du peuple au pouvoir, du "peuple souverain".
Les Blanquistes : menés par Auguste Blanqui, ils prônaient la révolution par l'exemple d'un groupe d'avant-garde insurrectionnelle; ils étaient souvent alliés aux Jacobins, qui ont soutenu la formation d'un "comité de salut public" à la mémoire de Robespierre. Même si ces idées sont toujours dans l'air, elles ont beaucoup perdu de leur influence. Il en reste encore des traces de nos jours : les "cortège de tête", les "black blocs" et le blog "Lundi matin" en 2016 également.
Les communistes du PCF : ce sont ceux qui ont tiré le maximum de la postérité de la Commune, au point d'avoir quelque peu détourné les propos de Marx à ce sujet. Marx est peu intervenu pendant la Commune, car à ce moment là il était malade. Il a écrit immédiatement après, pour défendre les communards. Pour lui, la Commune est une sorte de "sphynx" (selon ses propres mots), elle le laisse d'abord perplexe, d'abord sur la forme coopérative de la propriété collective, ensuite sur la forte influence proudhonienne, mais aussi sur les risques d'aventurisme des opérations militaires. Puis il écrit "La guerre civile en France" où il critique les communards comme trop honnêtes (parce qu'ils n'ont pas osé toucher à la banque de France) et trop défensifs. Cependant, il pointe la Commune comme le premier exemple historique d'un peuple qui se gouverne lui-même et qui, ce faisant, transforme la nature même de l'Etat et, dit-il, "montent à l'assaut du ciel". On peut considérer que cela renforça chez lui l'idée de "dictature du prolétariat", d'abord énoncée par Blanqui, puis apparue en 1850 dans ses écrits (Les luttes de classe en Franc).
C'est en suivant ces idées que les marxistes tirent une postérité de la Commune de Paris. Ils en font un événement précurseur des révolutions à venir, et popularisent comme leur hymne le chant "L'internationale" composé par un communard, Eugène Pottier. Alors que pour les républicains jacobins, la Commune est la dernière révolution, un "crépuscule", les communistes y voient l'aube de la révolution prolétarienne. On en retrouve fréquemment des références : non dans la révolution de 1917 (Lénine se réfère plutôt au régime de Robespierre et Saint Just, après avoir compté que le nombre des jours de la révolution de 1917 a dépassé celui de la Commune de Paris), mais dans l'insurrection de Berlin en 1918, la Commune de Shanghaï en 1967 pendant la Révolution Culturelle Chinoise, l'insurrection de Budapest en 1956 et la Commune étudiante de Mai 1968 à Nantes et à la Sorbonne.
Un événement !
C'est donc la première postérité durable de la Commune de Paris, que les communistes ont commémoré en organisant les cérémonies au "mur des fédérés" du cimetière du Père Lachaise, et en se qualifiant eux-même de dépositaire de cet héritage historique : le PCF a revendiqué en effet l'insurrection de Paris en 1944, et s'est longtemps fait appeler, après la seconde guerre mondiale, "le parti des fusillés", une sorte de continuité historique entre le mur des fédérés de 1871 et la Résistance au Nazisme en référence au mémorial du mont Valérien.
Il convient aujourd'hui de se distancier un peu de cette postérité révolutionnaire communiste de la Commune. Un historien a écrit qu'il fallait la "démarxiser". Sans retirer à Marx la pertinence de ses analyses, il convient plutôt de la "post-marxiser", de comprendre quelle peut être sa portée aujourd'hui, après la chute du Mur de Berlin qui consacre l'échec de l'hypothèse de la dictature du prolétariat. Peut-on dire, au fond, que la Commune de Paris fut une révolution ? Là-dessus, les avis sont partagés.
En fait, je me permettrai d'avancer que la Commune a porté une idée de la république et de la démocratie qui a été très singulière et qui ne s'est jamais concrétisée complètement. Ce ne fut pas un régime politique mais un mouvement politique populaire.
C'est un événement :
Inouï : la notion de commune est ancienne. Elle remonte au moyen-âge, précisément au XII° siècle lorsque des cités et des groupements de villages s'opposèrent à leurs seigneurs et firent appel au roi pour obtenir des chartes communales. Ce qui leur donnait le droit d'élire leurs magistrats (les échevins), de prélever elles mêmes les taxes dues aux seigneur et/ou au souverain et de se faire elles-même leur police. Il y eut alors des conflits importants entre le pouvoir royal et certaines communes, notamment celle de Paris, pendant la guerre de cent ans, sous la conduite d'Etienne Marcel, mais aussi pendant la Fronde contre Mazarin au XVII° siècle. La référence historique des communards de 1871, c'est la commune révolutionnaire insurrectionnelle de 1792 à 1794, liée aux sections sans-culottes, qui provoqua la chute de la royauté et soutint un temps le gouvernement de Robespierre. Mais jamais la commune révolutionnaire de 93 n'avait su établir un gouvernement contre le gouvernement "légal", ni soutenir un siège et mener une guerre civile. La Commune de 1871, c'est donc bien du "jamais vu" !
Imprévu : après la campagne militaire fulgurante des armées allemandes et la capitulation de Napoléon III à Sedan, la troisième surprise fut la résistance exceptionnelle de Paris au siège mené par l'armée prussienne puis par l'armée des Versaillais. Les parisiens firent en vain trois sorties. Gambetta tenta d'organiser la levée d'une armée de secours qui fut battue à Artenay, à Beaune la Rolande et à Loigny. Bien que cette armée continue à se battre jusqu'en mars 1871, le gouvernement réfugié à Bordeaux alors était prêt à signer l'armistice. Mais ce ne fut pas la plus grande des surprise : ce fut le refus de capituler et de rendre les armes, suivi par une insurrection populaire contre le gouvernement "traître", le 18 mars 1871, par les Parisiens qui étonna le monde.
Ce n'est pas seulement cette quatrième surprise qui suffit à en faire un événement, ni même son caractère inouï, c'est surtout que c'était, et c'est encore aujourd'hui, impensable. Ce qui en fait ...
Un événement politique
Que la Commune de Paris soit l'expression de la révolte des parisiens patriotes contre la "trahison" du gouvernement Thiers, cela se concevait sans doute. Mais que la Commune de Paris s'érige en gouvernement du peuple par le peuple, c'est-à-dire en Etat rival et concurrent de l'Etat républicain, cela dépassait l'entendement de beaucoup. Il y a des traces nombreuses de l'indécision de la Commune sur bien des points, y compris sur celle de mener l'assaut contre Versailles au début du mois d'Avril. Il n'y avait donc pas d'unanimité, c'est le moins qu'on puisse dire, sur cette ambition de faire de la Commune un Etat populaire. De même les mesures dites sociales de la Commune furent peu nombreuses et âprement discutées, au point que beaucoup d'historiens aujourd'hui hésitent à considérer la Commune comme "socialiste". Le "gouvernement du peuple par le peuple" était alors une idée toute nouvelle, une découverte tant dans son originalité que dans la difficulté de sa mise en pratique : fallait-il renverser le gouvernement républicain parlementaire de Thiers, et par quoi fallait-il le remplacer ? Il y a là une première postérité de la Commune, celle d'avoir servi de "transition" entre les tentatives avortées de restauration monarchique ou d'empire napoléonien, et la création d'un Etat moderne, la République.
Mais est-ce là tout ce que nous pouvons retenir de la Commune ? Fut-elle révolutionnaire ? Il y avait alors à Paris une référence clairement affichée à la révolution de 1793 : dans les rues, chacun s'appelait "citoyen" et "citoyenne" comme les sans-culottes d'autrefois. La démocratie directe, qui se nomme aujourd'hui le communalisme, cette forme particulière d'anarchisme, sont toujours aujourd'hui assez vivaces. Ils témoignent de ce que, toujours à présent, la question de la représentativité et de la légitimité de l'Etat centralisé reste ouverte.
Cette interrogation et le débat qu'elle suscita fut interrompu par la défaite des communards. D'après ce qu'on en sait aujourd'hui, cette interrogation et l'absence de réponses suffisamment convaincantes sont parmi les raisons de cette défaite. Elles expliquent pourquoi les communards hésitèrent trop longtemps avant de partir à l'assaut de Versailles, en ordre dispersés et en minorité d'ailleurs, les 3 et 4 avril (ils auraient pu le faire dès le 28 mars), car ils se sont alors trouvés face à une armée Versaillaise plus nombreuse, mieux armée et mieux commandée qu'eux. De même c'est cette hésitation qui explique que les Communards renoncèrent à s'emparer des réserves en or de la Banque de France, ce qui les aurait considérablement aidés à soutenir le siège, s'armer et corrompre leurs adversaires tout en affaiblissant Versailles.
Un événement patriotique
C'est pourquoi de nombreux historiens, aujourd'hui, pensent que la caractéristique principale de la Commune était d'être patriotique, de se mobiliser contre l'invasion allemande et de se révolter contre la "traîtrise" du gouvernement Thiers. Mais est-ce que cela fait de la Commune de Paris un événement historique ? Certainement pas ! La postérité de cet événement en atteste, même si la postérité que les communistes lui ont attribué est aujourd'hui en désuétude. Car si le gouvernement dirigé par Thiers fut "défaitiste" en prenant l'option de l'armistice et de la négociation avec Bismarck, sa "traîtrise" n'en était pas pour autant avérée. Il souhaitait mettre fin à une guerre perdue, une guerre que par ailleurs la plupart n'avaient pas voulue, pour redresser et moderniser le pays et l'Etat, et prendre peut-être plus tard une revanche. De ce point de vue aussi, c'est un événement historique, c'est-à-dire polysémique car il a, comme toujours, une pluralité d'interprétations politiques possibles.
Par contre, la guerre civile et l'extermination qu'a voulues la République "modérée" contre les républicains radicaux et les révolutionnaires, c'est indiscutable. De même que, du côté des communards, il y eut une volonté farouche bien que minoritaire de renverser le gouvernement des "Versaillais". Il y eut donc guerre civile, et les allemands, guidés par Bismarck, se gardèrent bien d'y prendre une part active, même s'ils ont armé et favorisé l'offensive des "Versaillais". C'était évidemment leur intérêt, et c'est ce qui fut l'origine de la haine que les Français eurent contre l'Allemagne pendant près d'un siècle. Cette guerre civile permit à l'Allemagne d'exiger et d'obtenir pratiquement sans discussion l'annexion de l'Alsace-Lorraine et l'indemnité de guerre de 5 milliards de francs-or du traité de Francfort. Cette haine fut longtemps le socle du patriotisme et du nationalisme en France, une des postérités de la Commune. C'est ainsi que les Allemands furent affublés du sobriquet de "les Boches" jusqu'en 1940.
Un événement "social"
Après la guerre de 1870-71 et la fondation de la Troisième République, les Communards furent amnistiés en 1880. Depuis, et encore de nos jours, Les Communards sont représentés comme des victimes de l'histoire, un mouvement déconsidéré, persécuté et méconnu. En 2016, à l'initiative du PS, une déclaration de l'Assemblée Nationale fut votée pour "réhabiliter" les Communards en ces termes :
"Considérant que les lois d'amnistie partielle de 1879 et d'amnistie totale de 1880 n'ont pas permis de réhabiliter l'ensemble des victimes de la répression de la Commune de Paris de 1871,
1/ Estime qu'il est temps ,de prendre en compte les travaux historiques ayant établi les faits dans la répression de la Commune de Paris,
2/ Juge nécessaire que soient mieux connues et diffusées les valeurs républicaines portées par les acteurs de la Commune de Paris,
3/ Souhaite que la République rende honneur et dignité à ces femmes et ces hommes qui ont combattu pour la liberté au prix d'exécutions sommaires et de condamnations iniques,
4/ Proclame la réhabilitation des victimes de la répression de la Commune de Paris"
Ainsi victimisés, les Communards, soi-disant réhabilités se trouvent spoliés de la postérité de leur oeuvre et de leurs projets, instrumentalisés au profit sans doute d'une campagne électorale socialiste qui échoua comme on le sait. Malgré tout, depuis 1950, des recherches historiques actives ont permis de mettre à jour une autre dimension de la Commune. Une autre question surgit à la lecture des traces de cet événement par les historiens : sous la pression constante de la population, durement éprouvée par un long siège, et dont les plus aisés des parisiens avaient fui en province en ne laissant sur place que les plus pauvres (immigrants de l'exode rural) et ceux qui avaient tout à perdre (les artisans et petits commerçants), des lois dites "sociales" avaient été édictées. Ces lois, le moratoire des loyers, l'annulation des dettes et la restitution des gages déposés au Mont de Piété, ainsi que l'interdiction des retenues sur salaires par les patrons, n'étaient pas en effet des initiatives de l'assemblée communale. Elles avaient été imposées par de nombreuses manifestations. De plus, de nombreuses initiatives avaient été prises pour répandre l'alphabétisation et l'éducation artistique, scientifique et littéraire, ce qui amena des projets (déjà dans l'air) d'enseignement laïc et gratuit. Enfin, le nombre considérable de blessés, mais aussi les risques d'épidémie et la mauvaise alimentation suscitèrent des initiatives qui débouchèrent sur des tentatives d'organisation sanitaire et alimentaire (la réglementation de l'activité des bouchers et des boulangers par exemple). Ces innovations furent reprises par ce qu'on a appelé "les réformistes" (pour les différencier des révolutionnaires) et qu'on appelle aujourd'hui les socialistes, qui se les sont attribuées.
Le point de vue des gens
Les recherches les plus récentes se sont penchées sur le point de vue du parisien moyen, mémoires, journaux personnels, courriers, etc ... Elles découvrent un aspect nouveau de la Commune. Il semble en effet que la Commune ait eu en partie l'intention de remettre aux mains des parisiens une partie au moins du pouvoir sur leur vie quotidienne, qui avait été accaparé par l'administration impériale. Cela avait été rendu nécessaire par la fuite à Versailles, avec Thiers le 18 mars, d'une partie importante des cadres de cette administration. Pour les remplacer, la Commune a fait appel à des militants politiques mais aussi à des subalternes ou même à de simples citoyens. Sa volonté n'était pas tant de "socialiser" l'administration que de maintenir une "vie normale" dans la ville, simplement par pragmatisme.
Mais l'effet de ces mesures fut inattendu. On vit apparaître un changement de vocabulaire : outre le recours au titre de "citoyen", on eut des formules de politesse dans les courriers telles que "solidairement vôtre". L'autorité des nouveaux cadres était plus facilement contestée, au nom de principes plutôt que de la loi, tels que "le bon droit", la "justice sociale", voire même "abaisser le château et élever la chaumière". Dans cet esprit, l'exercice de la justice fut modifié : les voleurs comme les déserteurs étaient punis, mais par une intégration obligatoire dans la garde nationale combattante. Il y eut aussi la volonté de changer le décor urbain : les statues religieuses ou héritées de l'empire et de la monarchies furent voilées de noir; des noms de lieux furent laïcisés ou carrément changés. Mais, contrairement à ce qui fut suggéré ensuite par la postérité communiste, il n'y eut pas d'expropriation, seulement des réquisitions temporaires, avec inventaire des biens réquisitionnés dans le but de les restituer ou de dédommager ensuite leurs propriétaires. Seule exception, les biens des dirigeants versaillais furent détruits, comme la maison de Thiers, dans le même esprit que la colonne Vendôme. Il n'était pas question d'abolir la propriété privée mais de réduire les inégalités. La lutte n'était pas orientée contre les "riches", mais contre les "spéculateurs", les "accapareurs", les dictateurs. Il n'y eut pratiquement pas non plus de créations de coopératives ouvrières, mais on peut penser que ce fut par manque de temps. Enfin il faut noter les initiatives prises à partir du moment de l'attaque Versaillaise : création spontanée d'ambulances, de collectes de ravitaillement voire de confection de munitions; organisations de cortèges à l'occasion des enterrements en l'honneur des "héros" tués aux combats. Mais là aussi, la démarche fut originale : les initiateurs de ces actes, les "héros" honorés ainsi étaient pour la plupart anonymes. Pas de culte d'individus particuliers !
En ce qui concerne le mouvement dans les villes de province, il n'y en eut de significatifs qu'à Lyon et Marseille (encore qu'à Marseille, le soulèvement ne dura que quelques heures en mars 1871), même s'il y eut des soulèvements ou des manifestations dans une quinzaine de villes. Mais sur ces faits, il est très difficile de trouver des traces intéressantes, hormis dans des monographies locales.
Qu'est-ce qu'un "communard" ?
Il y a là une autre source de la législation que celle de l'Etat Parlementaire. Il y a là aussi une autre facette de l'activité populaire, qui ne relève pas de la loi mais de l'initiative et de l'activité créatrice de la population : leur but n'était pas tant de changer la loi que de construire un monde meilleur, de s'intéresser plus à la vie et aux besoins des gens qu'au fonctionnement de la machine étatique. Cette dimension de l'activité des parisiens assiégés par les Allemands puis les Versaillais mériterait d'être à nouveau étudiée plus à fond sous cet angle : les initiatives du côté des gens. A la lumière du mouvement des Gilets Jaunes ("On est là, on est là, on est là, même si Macron ne le veut pas !") et des réactions populaires à la pandémie, et en repensant la postérité de la Commune de ce point de vue (l'invention et la multiplication des "associations non gouvernementales", les formes multiples de "résistance" à l'occupation Nazie, en particulier la protection des juifs ), on peut considérer qu'il y a là une autre dimension de la postérité de la Commune de Paris, qui fut occultée à la fois par les Versaillais, par les républicains modérés et par les communistes. Il ne s'agit pas seulement là de la liberté, mais aussi de l'émancipation. Mais s'agit-il de l'émancipation économique du salarié par rapport à son employeur ou, plus largement, d'une émancipation que j'appellerai, faute de mieux, civique ?
C'est pourquoi il faut revenir sur ce qu'on a appelé, et qu'on appelle encore "communard". Etait-ce un révolutionnaire" ? Un "patriote" ?, un "militant", blanquiste ou de l'Internationale ? Un combattant ? Ou de simples personnes qui jusqu'alors n'avaient aucun engagement politique, mais qui se sont transformées par l'action ? C'est, à l'étude des témoignages personnels qui sont parvenus jusqu'à présent, le dernier cas qui est le plus fréquent, sans parler du changement d'opinion qui a pu avoir lieu du côté des autres cas . Cela donne à réfléchir à l'importance d'un événement tel que la Commune de Paris de 1871 sur la subjectivité des individus. L'événement devient un moyen de réfléchir à l'ouverture de possibilités jusqu'alors ignorées ou considérées comme utopiques. Il identifie également des références historiques, le drapeau rouge, 1789, mais leur ajoute un sens nouveau enrichi par l'expérience nouvelle de la Commune. On voit apparaître alors une postérité singulière, celle d'une aurore dans l'iconographie, celle de la perspective éphémère d'un monde meilleur qui donne son vrai sens au chant "le temps des cerises". C'est ainsi que je comprends que l'histoire peut finir par des chansons.

