
Jeanne d'Arc
et le sacre de Charles VII
A la lecture des sources, j'aborde de biais les questions actuelles sans tenir compte des courants d'opinion actuels.:
- une mission divine ?
- une émergence de la nation ?
- Jeanne, une incarnation du peuple ?
- Une précursion de l'émancipation féminine ?
Comme les historiennes récentes (voir la bibliographie en bas de page), je ne ferai pas de polémique, mais j'étudierai "l'environnement" de Jeanne. Donc pas de point de vue sur sa personnalité, sa "mission divine" mais sur la perception qu'en a eu son entourage. Je ne tranche pas non plus sur la question d'une "occupation anglaise" et/ou d'une "résistance française", ce qui serait un anachronisme, mais je verrai plutôt la part prise de la guerre entre chevaleries féodales et celle voulue et soutenue par une population, principalement celle dont Jeanne était issue, celle des paysans libres (ou "vilains") ainsi que celle des citadins constitués en "communes", qui recherchaient la protection des seigneurs et participaient aux combats.
Pas de "patriotisme", mais une légitimité reconnue ou non, le pouvoir royal : contesté ou non par l'aristocratie, le haut clergé mais aussi la piétaille de l'armée et la population (et non le "peuple" : encore un anachronisme !). Il s'agit donc d'une "enquête", dans la tradition de l'historiographie universitaire, éloignée de l'anachronisme mais aussi d'une "démarche régressive" : donc pas non plus de recherche d'une justification politique, ni même d'une historicité.

Jeanne en son temps
Il faut prendre en compte l'état d'esprit, la pensée et les opinions de l'époque, tels qu'ils apparaissent dans les sources avant de s'occuper de la "postérité" de Jeanne d'Arc. La conception desdits "faits" dépasse donc largement une vision matérialiste des actes; elle atteint la perception des actes, elle prend en compte les prises de position et leurs attendus tant en termes d 'opinions et d'intérêts que de croyances, et pas seulement en termes de tactique militaire. Ce qui m'apparaît aujourd'hui, c'est que Jeanne, qui avait certainement une personnalité hors norme pour l'époque, fut également portée par un courant, voire plus que cela : un large mouvement au sein du royaume qui conduisit à renverser le cours de la guerre, faire reculer les Anglais et briser leur aura d'invincibilité, retourner les bourguignons en mettant fin à la guerre civile avec les Armagnacs, apporter au capétien Charles une légitimité sacrée qui renforça son autorité et s'ajouta à sa légitimité dynastique, encourager la montée au pouvoir d'une jeune génération d'hommes de guerre et de dirigeants qui insufflèrent ensuite une modernisation et une dynamique nouvelle à la monarchie. Car jusqu'alors, les droits de succession étaient à égalité entre les Valois et les Lancastre. Elle encouragea la montée au pouvoir d'une jeune génération d'hommes de guerre et de dirigeants qui insufflèrent ensuite une dynamique nouvelle à la monarchie. Cela correspond exactement aux trois objectifs qu'elle fixait à son intervention quand elle rencontra le roi et ses conseillers à Chinon : vaincre les "anglais", faire sacrer Charles VII à Reims et reprendre Paris.
Jeanne ne fut pas un chef de guerre au sens militaire du terme. Elle stimula les opérations de levée du siège d'Orléans, certes, au plan stratégique, mais beaucoup plus politique que militaire. Le roi l'équipa, lui confia une "compagnie" (c'est-à dire une troupe de combattants) et l'associa avec des "capitaines". Elle ne dirigeait pas l'armée, mais elle insufflait un style : la moralisation de la guerre par la pratique de la confession et de la messe fréquente, l'interdiction du pillage et de la prostitution; au niveau du commandement, une pondération de la fougue des chevaliers par du sens pratique en stimulant la combativité, en négligeant les protocoles chevaleresques, en tablant sur la rapidité et l'effet de surprise. Elle menait l'assaut, au risque assumé d'être blessée par trois fois. Elle était attentive au soin des blessés et au ravitaillement des troupes. Elle introduisit dans la conduite des opérations le paramètre du moral des combattants. Elle promut une conception de la guerre et des combats qui était autre que la tradition chevaleresque: sa tactique permettait de rendre inefficace le corps des archers Gallois qui demandait une longue préparation du champ de bataille, et déroutait la chevalerie anglaise en faisant mener l'assaut chevaliers et piétons simultanément. Il y avait donc chez elle une intelligence de la situation et des propositions neuves qui ont pu rompre l'équilibre entre les deux camps en faveur de Charles VII.
Elle était, c'est vérifié, fille de laboureur, non pas riche, mais homme libre, propriétaire de 20 hectares et de 4 ou 5 chevaux. La maison, à Domremy, est en pierre avec un étage et un grenier. Sa famille était très religieuse (un oncle curé) et son père était notable du village. Par sa famille, elle connut donc la seigneurie du coin. Elle savait signer mais pas écrire (ses lettres sont dictées à des clercs), monter à cheval (suffisamment pour supporter des étapes de plus de 50 km), elle travaillait aux champs (y compris aux labours). Elle était très pieuse mais pas superstitieuse.
Elle fut très touchée par la guerre. Son village, à la frontière du duché de Lorraine (terre d'empire), faisait partie de l'enclave de Vaucouleurs, seigneurie fidèle au roi de France, donc au dauphin Charles. Mais la présence anglaise était proche et les soldats anglais pratiquaient des pillages dans la région, de même que les bandes de soldats plus ou moins liés aux bourguignons comme aux armagnacs. Les villages étaient pillés, rançonnés, parfois brûlés, y compris les églises, ce qui toucha particulièrement Jeanne. C'est l'incendie de l'église de Domrémy qui suscita dans son esprit, dit-elle, les voix qui lui enjoignèrent d'aller à Bourges voir le dauphin.
La guerre de cent ans
La guerre, alors, qui durait depuis 1337 (depuis plus de 80 ans), était essentiellement une guerre de bandes armées. Le corps des gendarmes écossais de Charles V avait été décimé à la bataille d'Azincourt (5000 morts, 1000 prisonniers), ainsi que les principaux seigneurs et chevaliers français. La guerre fut poursuivie alors par des "capitaines", qui entraînaient avec eux des "lances" (cavaliers accompagnés de quelques soldats à pieds), et qui étaient quelquefois soldés par le roi, ou sinon "vivaient sur le pays". Ils pratiquaient une succession de coups de main ou de raids ainsi que des sièges de places fortes. Cette guerre toucha tout le Nord de la France (au nord de la Loire). Les princes et ducs rivaux manipulaient ces bandes. Les "grands" jouaient entre les raids de bandes et les négociations entre eux et avec les deux rois rivaux (Charles VII et le régent d'Henri VI, le duc de Bedford). Ils ont eu volontiers recours à la divination, aux sorcières et magiciens. Ils étaient très attentifs, comme toute la population, aux "prophéties".
Les enjeux de la guerre sont au départ dynastiques : au dauphin Charles, accusé d'être un "bâtard" et sacré à Bourges, s'opposait le roi d'Angleterre Henri VI, mineur (il avait 8 ans), sacré à Paris. Cela se complique d'une querelle entre deux grandes coteries, les Bourguignons autour du duc de Bourgogne et les Armagnacs autour de la duchesse d'Anjou et des nobles de Guyenne, laquelle querelle se jouait à coups d'assassinats et de tentatives d'enlèvement. C'est une guerre dont les motifs sont essentiellement liés aux liens féodaux et aux règles de succession qui leurs sont attachées.
L'hécatombe d'Azincourt a conduit également les paysans et citadins, en de nombreux endroits, à tenter de se défendre par eux mêmes, à défaut d'une protection seigneuriale. Les Anglais, vu l'obstacle de la langue, étaient plus enclins au pillage et au massacre que les français qui rançonnaient volontiers. Les cités, souvent fortifiées, changeaient d'obédience au gré de leurs intérêts immédiats, mais se révoltaient souvent contre les grands seigneurs, notamment en Flandres et à ,Paris. Par ailleurs les Anglais pratiquaient la confiscation des biens des habitants, ce qui amena des migrations. Dès avant l'annonce de l'avénement de la Pucelle d'Orléans, les dictons, chansons et libelles étaient assez répandus, surtout ceux contre les Anglais (surnommés les "godons").
Dimension politique de l'événement
Dans ce contexte, quelle importance a la survenue de Jeanne et en quoi cela peut-il être un événement ? Au fond de quoi était-il question ?
Cette question prend à l'époque l'apparence d'une prophétie. Elle s'appuie donc sur une autorité surnaturelle ... Pourquoi ? Pour donner à l'investiture du roi à Reims la légitimité qui lui manque par le sacre sur les lieux d'origine de la monarchie franque. Elle a un avantage majeur : c'est un appel qui s'adresse non seulement à la noblesse mais aussi à tout habitant du pays, soldats et paysans. Mais ce recours au sacré a un inconvénient : il peut être taxé de diabolique. Autre inconvénient : il peut impliquer dans la démarche l'Eglise et son clergé, qui court le risque d'être disqualifié par ce recours à une "autorité supérieure", celle de Dieu. C'est ce qui explique l'opposition farouche de certains évèques et des docteurs de la Sorbonne à l'action inspirée par Jeanne.
Si on l'examine par son contenu, il s'agit en fait d'une prescription sur l'Etat. L'investiture royale au trône de France ne peut être que sacrée. Son caractère dynastique est important, mais secondaire. Cela disqualifie également le droit coutumier féodal, ce qui explique suffisamment qu'une partie de la noblesse s'y soit opposée, notamment les Bourguignons.
On ne sait rien des accords qui furent passés entre Jeanne et Charles VII. Cependant, ce dernier comprit immédiatement l'opportunité de la proposition et sa nature : une opération purement politique, en toute subjectivité, en direction de toute la population. Il ne se contenta pas de l'introniser, de lui donner des moyens matériels et d'armer chevalier ses frères. Les actes, déclarations et écrits de Jeanne ont été diffusés partout par son administration. Il fit donc propagande. L'effet fut immédiat : les forces militaires, soldats et capitaines, affluèrent autour d'elle sans que Charles ait besoin de les payer (son trésor était vide), ce qui permit non seulement de libérer Orléans et la rive nord de la Loire, mais encore de mener une campagne militaire vers Reims via Auxerre, Troyes et Châlons, puis, après le sacre, vers Senlis et Compiègne dans le but de s'emparer de Paris. Galvanisés par par Jeanne, les Français, par leur audace, leur mépris des "règles" chevaleresques et leur "fureur", remportèrent plusieurs victoires. Le sacre à Reims a eu la même valeur et portée politique : ce fut plus une adhésion de la population à la cause du roi de Bourges qu'une tradition féodale. Mais ce mouvement, car on peut considérer cela comme un mouvement populaire, s'essoufla et faiblit avec la fin des beaux jours et la démobilisation des soldats, traditionnellement liée à la démobilisation de l'Ost Royal en automne. Parallèlement, le conseil royal se divisa entre partisans de l'offensive à outrance et ceux de la négociation avec les Bourguignons pour mettre fin à la guerre civile en position de force (tout l'Est du royaume était passé sous le contrôle de Charles VII). Il faut dire que l'intervention de Jeanne avait réussi à dépasser, au sein de la noblesse, cette division Armagnacs/Bourguignons qui avait pris la tournure d'une guerre civile, et à rallier à la cause de Charles plusieurs importants capitaines. De fait, la marche sur Paris après le sacre fut un échec, transformé en face à face sans affrontement entre Anglais et Français. Paris ne cèda pas. Le printemps suivant, Jeanne se laissa entraîner à un dernier assaut qui aboutit à sa capture. On ne sait s'il y a eu traîtrise alors ... Le roi s'orienta vers la négociation. Les Anglais tentèrent, de leur côté, de déconsidérer le sacre par la condamnation de Jeanne comme "sorcière". Ils achetèrent Jeanne aux Bourguignons et organisèrent son procès pour déconsidérer le sacre de Reims. Elle fut brûlée mais l'opération échoua.
Postérité de l'événement
On entre alors dans la postérité de l'évènement, qui n'est pas traitée par les historiennes récentes, sauf sur la question de la féminité de Jeanne. Les féministes auraient voulu en faire leur héroïne. En quoi cette féminité est-elle en cause ? On objectera seulement que la polémique sur l'habillement de Jeanne n'a qu'une faible portée : elle s'habillait en homme pour faire obstacle aux risques de viol, réels parmi la soldatesque. Actuellement, cela n'a pour effet que de lui ôter son caractère religieux. C'est sa dimension "laïque" qui a pour caractéristique d'escamoter la dimension politique de l'évènement à l'époque, et donc la signification réelle qu'elle pourrait avoir pour nous. Dans une moindre mesure, il en est de même de la dimension mystique qui lui sera donnée au début du XX° siècle avec la poésie de Péguy ("le mystère de la charité de Jeanne d'Arc") et sa béatification par le pape en 1908 , pour affirmer que la France reste "la fille ainée de l'Eglise" malgré la séparation de l'Eglise et de l'Etat, ce qui en ferait une figure de l'Etat-nation et du "peuple" volant au secours de l'Etat en décadence, contre la "mondialisation" et un Etat séparé des habitants du pays. La Canonisation de Jeanne en 1920 a été fort opportune pour consolider la "chambre bleu horizon" qui fut élue en France après la victoire de 1918 et le traité de paix.
Est-ce un événement historique alors ? Je pense que oui, il y en a un, non pas par l'intervention surnaturelle des "voix", mais par la rupture du siège d'Orléans, le sacre à Reims et l'échec du procès de Rouen. Reste à savoir ce qui a été le lieu principal, Orléans, Reims ou Rouen ?
L'intervention de Jeanne est l'occasion inouie et imprévue d'un mouvement à l'échelle du royaume, qui a eu deux effets conjugués :
- les victoires anglaises (Crécy, Poitiers et Azincourt), dûes à une tactique défensive appuyée par un redoutable corps d'archers, sont contrés par la "furia francese", une tactique d'assaut combiné des chevaliers et des piétons, basée sur la rapidité et la surprise, mais surtout sur une mobilisation subjective de masse qui surpasse la motivation intéressée des mercenaires et chevaliers anglais et bourguignons.
- la tradition féodale dynastique successorale qui motivait la revendication du trône de France par le roi d'Angleterre est dépassée par la sacralité de la couronne royale, justifiée par un mouvement de masse.
- le procès de Rouen fut essentiellement le moment où l'on tenta d'évaluer en quoi il s'agissait d'un événement. Mais c'est seulement par la postérité des faits qu'il est possible d'en mesurer vraiment l'importance.
C'est sans ainsi que s'explique le fait que Charles VII ait reçu Jeanne et l'ait soutenu dans un premier temps. mais lorsque le sacre fut accompli, il s'est plutôt tourné vers la diplomatie, peut-être par méfiance envers un mouvement de masse qu'il ne contrôlait pas bien, mais aussi pour capitaliser ce mouvement par une refonte de l'Etat en conséquence et une réorganisation des territoires reconquis. Un processus de longue haleine, tandis que Jeanne, sans doute consciente de l'essoufflement du mouvement qui l'avait porté, était tentée par la précipitation dans l'action. Ce qui explique qu'elle fut faite prisonnière ... D'où le procès de Rouen. Les Anglais ont fait pression, et ont organisé ce procès en 1431 avec la complicité d'une partie du clergé français (l'évèque Cauchon, mais aussi l'université de Paris). Ils ont tenté, et partiellement réussi à manipuler Jeanne pour l'accuser de sorcellerie (le caractère des "voix" sans aucune preuve, et le port par Jeanne de vêtements masculins, non pas par féminisme mais par obligation). Ils ont finalement échoué à déconsidérer le sacre de Charles VII, du fait de la résistance de Jeanne mais aussi du fait de leur sous-estimation de sa portée.
Singularité du sacre de Charles VII
Le sacre du roi Charles VII est un pas en avant vers la formation de la monarchie : le roi n'est plus élu depuis longtemps, mais il n'est plus seulement le premier des nobles par hérédité. Il n'est plus seulement le sommet de la pyramide féodale. Il est sacré, oint comme un prêtre, vicaire laïc de Dieu dans le royaume, bras séculier de la volonté divine. De plus, il est porteur d'une autorité supérieure en relation directe avec la population qui le reconnaît. C'est un pas de plus dans la constitution de la monarchie qui va continuer à se développer sous Louis XI, François I° et Henri IV jusque Louis XIV. Un pas de plus dans la transformation des rapports entre l'Etat et la population. Jeanne a certes été brûlée à Rouen, mais son intégrité morale et sa foi n'ont pas été suffisamment contestées. Le procès en réhabilitation voulu par Charles VII à la fin de la guerre ( 1456) l'a conforté. Surtout, elle n'a été que l'instrument du sacre et non son autrice. Ne disait-elle pas, le jour du sacre, que c'était son étendard et non elle-même qui était à l'honneur ? Qu'est-ce donc qui en fait une sainte et un personnage historique aujourd'hui, au XXI° siècle ? Quelle est la nature de sa postérité actuelle ?
Cette postérité a commencé très tôt, d'abord avec le procès en annulation du procès pour sorcellerie, 25 ans après sa mort. Elle n'a pratiquement jamais cessé depuis et elle s'est caractérisée constamment par une controverse entre ses hagiographes et ses contempteurs. Commencée entre les Armagnacs et les Bourguignons au XV° siècle, elle se poursuivit au XVI° siècle entre les catholiques et les protestants, puis au XVII° siècle entre les tenants de la monarchie absolue et leurs adversaires (qu'ils fussent jansénistes ou libertins). Le siècle des Lumières vit sa popularité décroître, mais revenir en force au XIX° siècle, entre les monarchistes et les républicains. A la suite de Michelet, les manuels de la II° république en font l'égérie et la fondatrice de la Nation qui est supposée naître au XV° siècle (même si, selon Georges Duby, la bataille de Bouvines, au début du XIII° siècle fut déjà une première manifestation de l'alliance entre le roi de France et les communes urbaines et rurales apparues au XII° siècle). A la suite de la proclamation de la II° république, pendant une cinquantaine d'années, une campagne fut menée pour la canonisation de Jeanne, qui aboutit quelques années après la première guerre mondiale, au nom de l'"Union Sacrée". Il fut inventé alors, pour la contrer, une autre héroïne de la guerre de cent ans, Jeanne Hachette (qui aurait mené la résistance de la ville de Beauvais contre les Bourguignons; ce n'est pas son existence qui est mise en cause, mais sa postérité, comme héroïne laïque opposée par les républicains à Jeanne d'Arc). Tout au long de cette postérité mouvementée, des légendes apparurent sur son compte : selon les uns, elle aurait été une fille bâtarde de sang royal; selon les autres, elle aurait survécu au bûcher de Rouen sous le nom de Claude des Armoises.
Tous les ans, à Orléans, à Reims et à Rouen, une fête commémore Jeanne d'Arc avec cortège costumé, attractions "médiévales" et cérémonie religieuse, prétexte à des animations touristiques et folkloriques qui attirent beaucoup de monde. On trouve plusieurs statues équestres de Jeanne d'Arc, en combattante l'épée ou l'étendart à la main, à Paris (place Saint Augustin et au Sacré Coeur de Montmartre) à Orléans (place du Martrois), à Reims (parvis de la cathédrale), etc ... Tous les ans également, l'extrême droite, à Paris, se rassemble pour la commémorer également et promouvoir en même temps un projet d'Etat, semble-t-il. Tandis qu'à Reims, l'épée de la statue de Jeanne est régulièrement dérobée et remplacée, signe peut-être que la controverse n'est pas vraiment éteinte.
Bref, aujourd'hui, son nom et son personnage sont attachés à celui de la Nation. Incarnation ou concurrente de la Marianne, je ne sais. Vierge et guerrière, instigatrice ou manipulée par la royauté, elle est une figure du "peuple" attaché à l'Etat, peuple inspiré par une volonté surnaturelle, peuple enthousiaste et fougueux, peuple croyant, peuple martyr. On pourrait la considérer comme la figure représentative de l'Etat-nation. Mais quel rapport avec la Jeanne historique ?
Aujourd'hui ?
Si l'épopée de Jeanne d'Arc montre qu'il y eut au XV° siècle un rapport entre le roi et la population, cela ne signifiait pas pour autant un rapport avec le territoire de "La France", contrairement aux allégations qu'on peut retrouver dans certains manuels scolaires, comme le Malet -Isaac. La connexion entre un peuple et le territoire du royaume n'existait pas. Il existait peut-être une entité "France" mais ses limites étaient extrêmement floues, et encore reliées aux liens vassaliques entre les seigneurs et le roi. Le rapport entre le roi et la population, urbaine et paysanne, était essentiellement une question liée aux services attendus de part et d'autre : justice et protection de la part du roi, allégeance et contribution financière de la part de la population. C'est après la guerre de cent ans, et notamment au XVI° siècle que ces liens se sont resserrés et étoffés. La figure actuelle de Jeanne procède beaucoup plus du début du XX° siècle. Si elle est questionnée aujourd'hui, c'est en écho de ce qu'elle pourrait ou non représenterau XXI° siècle. Car aujourd'hui encore on s'interroge sur les relations subjectives entre la population du pays et ses dirigeants.
Bibliographie récente :
Valérie Toureille, Jeanne d'Arc, Perrin 2020
Colette Beaune, Jeanne d'Arc, vérités et légendes, Perrin, 2008
Olivier Bouzy, Jeanne d'Arc en son siècle, Fayard, 2013
